Homélie du Père Bernard Descarpentries

Matthieu 25, 31-45

 

(Homélie Père Bernard Descarpentries_20141111.mp3)

 

Célébrer l’armistice, en l'année du centenaire du début de la grande guerre, nous invite à échapper à l'amnésie qui rendrait de nouveau possible la violence. Nous faisons donc mémoire de tous ceux qui vivaient isolés dans les tranchées, de ceux qui sont morts pour la France, pour la liberté. Parmi nous certains ont vécu la guerre en Europe, en Afrique du Nord, en Indochine ou dans le cadre du maintien de la paix et de la protection des populations lors de missions extérieures. Nous devons aussi penser à tous ceux qui ont survécus à ces guerres et qui ont dû se reconstruire après toutes les horreurs.

 

La mémoire n’est pas à confondre avec un souvenir. Faire mémoire aujourd’hui des conflits qui ont meurtri, des hommes, femmes et enfants par la perte de parents, ou qui ont vécu des privations, des angoisses, des mutilations, des humiliation, c’est aussi chercher davantage à savoir ce que nous faisons quand nous accomplissons telle ou telle action au cours de notre vie. Rendre hommage à ces êtres humains sacrifiés, c'est percevoir l'appel à la responsabilité, et prendre de la vie une leçon sur l’humanité, et l’être humain dans son individualité. Il ne s'agit pas d'appeler à nous couvrir d’un voile de deuil, mais de goûter aux vraies valeurs, en sachant que la liberté et la paix ont un prix qui est à protéger et à ne pas oublier.

 

Lorsqu’ils étaient des jours et des nuits entières, dehors à attendre un assaut dans le froid ou la chaleur et pensaient : "Plus jamais ça !" beaucoup avaient sans doute espéré l’armistice signé le 11 novembre 1918. Il y a toujours un décalage entre nos souhaits et ce que nous vivons. Nous savons que la paix ne va pas de soi. Plus qu'un décret, elle est à vivre en nous même, c’est un comportement. La guerre de tranchées qui oppose les clans n’est jamais une chose révolue. Il y a bien des tranchées existantes qui ne sont pas visibles sur le sol ; mais la façon de construire des tranchées et d'y enliser nos semblables, perdure quand on désigne un adversaire comme ennemi héréditaire, ou qu'on surfe sur les thèses d'une théorie du complot. Je pense qu'en face de cela nous sommes dans l’obligation de faire des choix et d'aider à les faire comprendre, de les mettre en œuvre avec ce qu'ils nous coûtent d'engagement et de renoncement. Tout à l'heure le Président de la république sera à la Nécropole nationale de Notre-Dame-de-Lorette. Que de chemin parcouru depuis 1918 où la revanche prévalait ! A un armistice humiliant qui engendra la seconde guerre, a succédé l'esprit de réconciliation. La haine a fait place au pardon. Comment cela est il possible ? Le pardon n’est pas oubli, mais permet la reconnaissance de la vérité sur ce qui s’est passé. La paix est fragile et ne peut être imposée. Elle est d’abord à cultiver autour de nous, avant de la rêver pour le monde entier. Il n’y a pas de paix possible sans la justice. Comment être en paix avec son voisin s’il n’a pas de quoi vivre ? Comment aspirer à vivre en paix si je n’ai pas appris en famille le pardon qui retisse les liens détruits par la dispute. Le chrétien sait que la foi chrétienne ne protège pas de la barbarie, parce qu'en chacun de nous il y a un combat à mener, celui de la fraternité, au lieu du repli sur soi. Nous pouvons nous interroger sur notre attitude vis-à-vis des autres : "Est-ce que j’essaye de mieux les comprendre ou bien je les ignore et les vois comme une menace ? La paix ne nait pas naturellement. Elle se cultive et fleurit là où on l’entretient. Le premier lieu où nous avons à l’entretenir ; c’est dans notre cœur. Par notre témoignage, elle peut s’étendre entre les peuples, les personnes. Il nous faut sortir de nos tranchées, faire que nos décisions intérieures de paix soient de plus en plus visibles, réelles.

 

Les Chrétiens croient que Jésus se rend présent au cours de l'Eucharistie, et que dans la mort et la Résurrection du Christ, l'acte de mémoire ne nous enferme pas dans le passé mais nous oriente vers l’avenir d’une vie en Dieu où il n’y de place que pour la paix partagée, par nos mains qui se donnent la paix, par nos yeux, quand le regard ne dévisage pas l’étranger, par notre parole échangée avec l’autre. Ainsi, si nous construisons des tranchées, nous savons aussi faire tomber des murs et acceptons d'être relevé pour nous édifier mutuellement, ouvrant un avenir partagé. Comme la France et l’Allemagne qui sont devenues des partenaires, il nous appartient de vivre la Réconciliation à l'image de la Rédemption à laquelle Dieu nous invite. L’Évangile propose un chemin exigeant mais qui mène à la vie. Il annonce avec Jésus combien de fatigue et d’investissement, d'ingratitudes et de relèvement, cela coûte de le parcourir. C’est pourquoi, Jésus insiste sur l’importance de ne pas se détourner devant les épreuves et les difficultés, de ne pas nous bercer de promesses de consolations spirituelles, mais de toujours s'appuier sur les vertus qui regardent notre relation avec l’autre, avec le monde et avec nous-mêmes. Vivre avec Dieu ne consiste pas en des expériences suspendues à mi-chemin entre ciel et terre, mais guidées par l’Esprit, en des expériences de vie avec nos proches. A chacun d’apprécier la valeur et l'exigence de cette Bonne Nouvelle qui appelle à la liberté véritable dans le partage, au-delà de toutes les frontières.

 

Si Dieu se révèle tout au long de l’histoire comme le Dieu de miséricorde ; il n’est pas pour autant le Dieu devant qui tout ce qui viendrait à l'idée serait également valable ou bien. Les paroles du Christ que nous venons d'entendre (Matthieu 25) portent un critère d'ajustement pour tout homme vis à vis de ses contemporains, quelque soit leurs origines et convictions. Les interlocuteurs de cette parabole ne semblent pas avoir perçu ce qu’ils faisaient, lorsqu’ils accomplissaient telle ou telle action au cours de leur vie. Au ciel, la vérité leur est révélée de ce qu’ils ont engagé sur la terre. C’est l’Amour qui jugera de notre fécondité. Saint Martin que nous fêtons ce jour, était un officier romain qui avait saisi l’essentiel du message du Christ : Aimer. Il a tout quitté pour implanter la vie religieuse en Europe. Aujourd'hui encore les religieuses et religieux témoignent par une vie toute offerte à DIEU, que Dieu est tout offert aux hommes. Ils portent dans la prière et l'action, les attentes et les joies, les partages et la réalité de la vie de leurs contemporains. Il nous arrive d'expérimenter cet appel de l'humanité en attente d'accomplissement et de solidarité auquel ils répondent dans la voie du célibat consacré et la pauvreté. Toute vie donnée nous redit que l’homme est capable du meilleur et du pire. Nous pouvons chercher à comprendre ce qui génère dans le coeur de l’homme amertume, peur, haine et violence, ou au contraire ce qui peut engendrer ouverture, confiance, amour, don et engagement. Il nous faut scruter, examiner, contempler, réfléchir, et accueillir la vie (voir, juger, agir). Notre époque, a besoin de sages capables de comprendre les situations et les contradictions de l’homme, de visionnaires qui sachent nous indiquer des voies praticables ; mais qui ne réclament pas que nous nous abandonnions tous pouvoirs en nous laissant fasciner par eux. Il nous faut sans doute davantage apprendre à tenir notre devise nationale : liberté, égalité, fraternité ; et à la porter ensemble. Il nous faut tout autant, nous ouvrir à l’Évangile qui nous indique une voie sûre à rechercher et mettre en œuvre ; qui nous tourne vers les plus faibles, les plus vulnérables, les blessés ; là où l’homme peut exprimer le meilleur de lui-même et sa véritable grandeur, là où le croyant perçoit l'appel de Dieu et trouve DIEU présent qui donne vie. Honorer nos prédécesseurs, c’est participer de ce don de vie qui nous révèle vivant éternellement.

 

Pour conclure, j'aimerais citer Rudyard KIPLING dans le poème adressé à son fils adolescent, qui disparaîtra cinq ans plus tard sur le champ de bataille de Loos :

 

« Si tu peux voir détruit l'ouvrage de ta vie
Et sans dire un seul mot te mettre à rebâtir,
Ou perdre en un seul coup le gain de cent parties
Sans un geste et sans un soupir ;


Si tu peux être amant sans être fou d'amour,
Si tu peux être fort sans cesser d'être tendre,
Et, te sentant haï, sans haïr à ton tour,
Pourtant lutter et te défendre ;


Si tu peux supporter d'entendre tes paroles
Travesties par des gueux pour exciter des sots,
Et d'entendre mentir sur toi leurs bouches folles
Sans mentir toi-même d'un mot ;


Si tu peux rester digne en étant populaire,
Si tu peux rester peuple en conseillant les rois,
Et si tu peux aimer tous tes amis en frères,
Sans qu'aucun d'eux soit tout pour toi ;


Si tu sais méditer, observer et connaître,
Sans jamais devenir sceptique ou destructeur ;
Rêver, mais sans laisser ton rêve être ton maître,
Penser sans n'être que penseur ;


Si tu sais être dur, sans jamais être en rage,
Si tu sais être brave et jamais imprudent,
Si tu sais être bon, si tu sais être sage,
Sans être moral et pédant ;


Si tu peux rencontrer Triomphe après Défaite
Et recevoir ces deux menteurs d'un même front,
Si tu peux conserver ton courage et ta tête
Quand tous les autres les perdront,


Alors les Rois les Dieux la Chance et la Victoire
Seront à tout jamais tes esclaves soumis,
Et, ce qui vaut bien mieux que les Rois et la Gloire,
Tu seras un homme mon fils !
»

 

Puisque Dieu a fait de nous ses fils et filles par son Fils Jésus, il nous reste en Jésus à devenir des hommes. Amen.

 

Le 11 novembre 2014,

Père Bernard Descarpentries

 

Article publié par MICHEL LAISNE • Publié le Mardi 11 novembre 2014 • 1129 visites

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