Le propre des textes bibliques est d’être directement adressé à chacun de ceux qui les écoutent. On y voit les personnes accomplir des pratiques rituelles pour résoudre leurs difficultés. Aujourd'hui encore certains allument un cierge et déposent une offrande dans l’attente de ce qu’il souhaite, d’autres plus directement pensent que seule l’action prévaut « aide-toi, et le ciel t’aidera » et d’autres encore plus radicalement pensent qu’avec une bonne guerre tout serait résolu. Dans la bible, il y a l’évocation de l’apocalypse où beaucoup périront : « une pluie de feu et de soufre tomberont sur les hommes, des épidémies et famines les feront tous mourir dans le fer et le sang… ».
Ceux qui ont vécu les tranchées, ont pu se croire sous cette pluie de feu et de soufre. Ils ont souffert de la crasse et de la faim dans le fer et le sang. De même ceux qui ont connu les camps de concentration. Je me souviens mon grand-père m’en parlant devant une tranchée toute proche de Douai, ou encore mon grand-oncle Georges m’évoquant sa chair meurtrie par une mine antipersonnelle, l’enfer de Dien Bien Phu.
Nous sommes rassemblés dans la mémoire de ceux qui ont fait ce sacrifice pour notre liberté. Nous devons aussi penser à tous ceux qui ont survécus à ces guerres et qui ont dû se reconstruire après toutes ces horreurs. Parmi vous certains (comme mon père) en ont fait l’expérience en Afrique du Nord, en Indochine, et aujourd’hui au cours de mission de l’O.N.U. Notre pays doit être reconnaissant envers tous ceux qui y sont allés, et à leurs familles. Aujourd'hui, nous sommes à l'église pour prier parce que nous savons que la prière porte à la conversion et à l’agir de DIEU. Elle nous permet de ne pas être englouti et gagné par la violence.
Face à leur sacrifice, nous pouvons nous questionner sur le comment être responsable de la dignité que DIEU nous confie ? Ceux qui sont morts sur les champs de batailles de la première guerre mondiale pour notre liberté, et ceux qui sont revenu dans leurs foyers ont été marqués dans leur âme ou dans leur corps par la guerre ; ils ont survécu pour construire un monde meilleur. Quel ne fut pas leur désarroi lorsqu'un peu plus de 25 ans après, un nouveau conflit majeur écrasait l'Europe, étreignait le monde. Sont-ils morts pour rien ? Ont-ils reconstruit leur pays pour rien ? La construction européenne, issue de la seconde guerre mondiale, nous garantit la paix depuis 68 ans. Face à la crise, à la guerre économique, penserons-nous qu'elle est inutile ? Aujourd'hui, nous avons la chance de vivre en paix sur le continent européen, même si les difficultés du quotidien sont criantes. Parfois devant la tentation individualiste, je me demande si nous sommes dignes du sacrifice de nos anciens, des chrétiens de tous âges qui nous ont précédés marqués du signe de la foi. En France si tous n’ont pas résisté, tous n’ont pas été collabos, ou lâches ; plus tard colonialistes et tortionnaires. Il y a eu les humbles qui ont continué la solidarité au quotidien, les « justes ».
Aujourd'hui, sommes-nous capables des mêmes sacrifices ? Sommes-nous capables de tout donner pour la paix ? Sommes-nous capables de sacrifier quelques avantages acquis pour sauvegarder ce qui nous préserve de la guerre, qu’elle soit sur champ de bataille ou dans une guérilla terroriste sournoise ? Qu’elle soit guerre économique, écologique ou plus fondamentalement combat pour la dignité de la vie ? Serions-nous tellement sans mémoire que nous en viendrions à ignorer Dieu dans nos vies et dans notre quotidien ? Si nous venons à l'église, c'est bien et ce ne peut être insuffisant, car il faut que cela nous transforme et nous agisse. Que chacun d’entre nous aide les responsables politiques à faire respecter la vie et les personnes. Ce peut être en rappelant l’esprit d’abnégation voire de sacrifice et l’encourageant auprès des jeunes. Quand je vois des jeunes s'engager dans un projet de solidarité, je suis fier d'eux et je leur dis merci de marcher ici à la suite de ceux qui avant se sont engagés un peu partout dans le monde, au risque leur vie pour la liberté, l’égalité, et la fraternité. J’attire l’attention sur le fait de toujours garder ce trépied de nos valeurs fondatrices, car ne garder que liberté et égalité sans le lien de la fraternité, c’est prendre le risque de l’enfermement totalisant. On pourrait être tenté de s'imaginer que la fraternité ou l'amour ne sont qu'une vibration sentimentale.
Jésus, au contraire, nous dit qu'aimer, c'est agir. Il nous donne l'exemple très concret d'une femme, qui met tout son être et son avoir dans l’offrande à DIEU. Il nous met en garde contre nos faux-fuyants qui rassurent : « j’ai fait ma tâche, j’ai droit à la tranquillité ». « Ma petite maman chérie, si tu savais comme je t'aime », disent parfois les enfants . Alors, prouve-le-moi et grandis en partageant des responsabilités», pensent les mères ! « mets donc la table ou aide moi à la vaisselle, refais ton lit, range tes affaires ! » nous ont-elles dit un jour. C’est vrai il n'y a pas d'amour véritable qui ne se traduise en gestes pratiques. Aimer, c'est agir et c'est aussi donner sans compter. La veuve de Sarepta a donné au prophète Élie jusqu'à sa dernière poignée de farine, comme cette veuve du Temple a donné jusqu'à ses dernières pièces de monnaie, de même la mère dont il est question au livre des consolations d’Israël, qui a encouragé l’esprit de résistance de ses sept fils jusqu’au sacrifice. Les comblés donnaient beaucoup, mais préservaient pour eux bien plus encore. La pauvre veuve donnait apparemment si peu, mais elle ne gardait rien. En elle, Jésus se reconnaît. Il découvre quelqu'un qui ressemble à Dieu en donnant jusqu’à sa dernière piécette de vie ; comme lui donnera jusqu'à la dernière goutte de son sang. « De riche qu'il était, Dieu s'est fait pauvre, pour nous enrichir par sa pauvreté » nous dit l’épître. Alors que tant d'hommes, de femmes et d'enfants manquent du strict nécessaire, nous ne pouvons que nous remettre en question. Nos gaspillages et nos gadgets crient vers Dieu, « qui garde à jamais sa fidélité, qui fait justice aux opprimés et donne aux affamés du pain » (Psaume 145). L'amour ne calcule pas. Si l’Église a retenu le geste modeste de cette pauvre veuve, si elle fait mémoire de l’offrande de vie, ce n’est pas pour nous enfermer dans l’esclavage ou la docile passivité, mais parce qu’elle y voit Dieu qui nous a tout donné en son Fils. La campagne du Secours Catholique nous le rappelle, on peut avoir un travail et ne pas s’en sortir financièrement. Le cardinal André Vingt-Trois l’a rappelé dans son message de clôture de l’assemblée des évêques à Lourdes, c’est là un axe important de notre témoignage de foi ancré dans la réalité. « Des pauvres vous en aurez toujours » nous a dit Jésus, nous invitant à sa suite à être serviteur. Puisse son amour être dans l’offrande de nos vies, accueil de sa vie livrée et partage effectif avec nos « frères ».
11 novembre 2012
Père Bernard DESCARPENTRIES