Il est Dieu et Il me ressemble…

0912_image001 0912_image001   Tiré de la pièce de théâtre "Barjona" de Jean-Paul Sartre,

le philosophe existentialiste.

 

À l’automne 1940, les Nazis l’ont capturé et déporté dans un camp de concentration en Allemagne. Tout juste avant Noël, un Jésuite aussi prisonnier, Paul Feller, l’a persuadé d’écrire une pièce de théâtre sur la Nativité pour les chrétiens de langue française, aussi en captivité.

Sartre, baptisé comme catholique, était devenu à cette époque un athée convaincu. Il écrivit cette pièce comme un geste de solidarité pour ses concitoyens français prisonniers, dont cet extrait est l’un des 6 tableaux.

La Vierge est pâle et elle regarde l’enfant.
Ce qu’il faudrait peindre sur son visage
c’est un émerveillement anxieux
qui n’a paru qu’une fois sur une figure humaine.

Car le Christ est son enfant,
la chair de sa chair, et le fruit de ses entrailles.
Elle l’a porté neuf mois et elle lui donne le sein, et son lait deviendra le sang de Dieu.
et par moments, la tentation est si forte qu’elle oublie qu’il est Dieu
Elle le serre dans ses bras et elle dit : mon petit.

Mais, à d’autres moments, elle demeure toute interdite
et elle pense : Dieu est là
et elle se sent prise d’une horreur religieuse pour ce Dieu muet, pour cet enfant terrifiant.
Car toutes les mères sont ainsi arrêtées par moments devant ce fragment rebelle de leur chair qu’est leur enfant
et elles se sentent en exil à deux pas de cette vie neuve qu’on a faite avec leur vie et qu’habitent des pensées étrangères.
Mais aucun enfant n’a été plus cruellement ni plus rapidement arraché à sa mère, car il est Dieu et il dépasse de tous côtés ce qu’elle peut imaginer.

Et je pense qu’il y a aussi d’autres moments, rapides et glissants ou elle sent à la fois que le Christ est son fils, son petit à elle et qu’il est Dieu.
Elle le regarde et elle pense : " Ce Dieu est mon enfant.
Cette chair divine est ma chair.
II est fait de moi.
II a mes yeux, et cette forme de sa bouche c’est la forme de le mienne.
Il me ressemble. Il est Dieu et il me ressemble."

Et aucune femme n’a eu de la sorte un dieu pour elle seule.
Un Dieu tout petit qu’on peut prendre dans ses bras et couvrir de baisers,
un Dieu tout chaud qui sourit et qui respire,
un Dieu qu’on peut toucher et qui vit.
Et c’est dans un de ces moments que je peindrais Marie, si j’étais peintre, et que j’essaierais de rendre l’air de radieuse tendresse et de timidité avec lequel elle avance le doigt pour toucher la douce petite peau de cet enfant-Dieu dont elle sent sur ses genoux le poids tiède, et qui sourit.

Article publié par MICHEL LAISNE • Publié le Jeudi 24 décembre 2009 • 1742 visites

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