Chers Amis,
La population du Cameroun s’élève autour de 22 millions, et comme les autres pays africains, elle reste très jeune, avec 44% de moins de 15 ans. Elle reste malheureusement vulnérable à de nombreux enjeux sanitaires. Moins de 5% de la population a plus de 60 ans et l’espérance de vie en 2012 était de 51 ans. La mortalité maternelle est élevée, tout comme la mortalité néonatale et infantile, le taux de mortalité pour 1000 enfants de moins de 5 ans était de 95 en 2012. Les statistiques sont accablantes pour cette tranche de la population: le Cameroun est un des seuls pays où la mortalité maternelle et infantile a augmenté ces dernières années !! Mais, il me semble que je vous l’avais déjà évoqué lors d’un précédent mail.
Le paludisme reste la principale cause de mortalité notamment parmi les enfants et c’est la maladie qui nous amène le plus de patients à l’hôpital. D’autres maladies importantes sont le VIH / SIDA, la tuberculose, les infections respiratoires aiguës, les méningites, la fièvre typhoïde... L’hypertension artérielle, les cancers, le diabète et les traumatismes (les accidents de la route par exemple) sont en recrudescence du fait des changements dans les modes de vie, notamment liés à l’urbanisation !
La situation économique du pays, bien que meilleure ces dernières années, n’a pas encore permis d’améliorer significativement le niveau de vie de la population, et environ 10% vit avec moins de 1,25 dollar par jour. Malgré ses engagements internationaux, le gouvernement camerounais ne dédie à la santé de sa population qu’à peine 5% du PIB et 20% du financement de ce secteur provient de l’aide extérieure.
La pauvreté au Cameroun est un important facteur limitatif pour l’accès équitable à la santé. Etendre l’accès aux soins, et particulièrement pour les mères et les enfants, est bien l’objectif principal de notre hôpital. Notre engagement principal pour atteindre cet objectif passe évidement par le coût réduit des soins. Une consultation, par exemple, coûte chez nous 1000 francs CFA (1,5 euros) alors qu’elle varie entre 3000 et 15000F à Yaoundé. Idem pour une échographie, que l’on facture à 5000F, au lieu de 7000 à 50,000F à la capitale. Notre grille tarifaire varie cependant en fonction des revenus des patients qui, parfois, sont plus aisés ou détiennent une assurance privée !
La pauvreté des villageois reste le plus gros défi auquel nous faisons face quotidiennement. Tous les jours, l’infirmière coordinatrice débat avec nos patients sur leur possibilité de paiement. Il est fréquent que nous hospitalisons ou traitons certains d’entre eux sans avoir la certitude qu’ils pourront régler leurs soins et médicaments. Il arrive aussi souvent que le médecin sorte quelques francs de sa poche pour solder une facture. C’est là la différence avec les hôpitaux publics camerounais qui, pour la plupart, refusent de soigner les patients sans argent, même s’ils sont dans une situation critique ou vitale…En contrepartie, il est inévitable que nous restions parfois avec des factures non payées, après que le patient ait fui, et qui doivent malheureusement être comptabilisées comme des pertes…!
Etant donné du manque de moyens généralisé dans notre zone d’action, il est très compliqué de gérer ces patients sans moyens qui nous demandent de l’aide. Bien qu’il ne soit pas possible de refuser d’administrer des soins à quelqu’un en détresse, nous n’avons pas un caractère humanitaire et facturer la santé est le seul moyen pour que l’hôpital soit un investissement durable dans le temps et que notre action ait un impact sur le développement local à long-terme. Et il est également question de participer à un changement dans les mentalités pour que les soins de santé de qualité (et non le charlatan du coin) soit considérés comme une dépense prioritaire pour les villageois. Il est, en effet, très fréquent que le manque d’argent des patients relève plus d’une question de volonté que de moyens véritables. Le fait que l’hôpital ait été créé par des Soeurs a également tendance à pousser certains à s’attendre à une certaine charité ! La difficulté est donc de distinguer les patients les plus dans le besoin.
Du point de vue financier, cet engagement pour l’accès aux soins est un frein majeur pour nos recettes et notre capacité à s’auto-financer. Comment assurer la fréquentation et donc la pérennité d’une structure hospitalière comme la nôtre dans un contexte si pauvre ? Comment financer la santé de la population que nous voulons aider ? C’est l’interrogation qui me trotte dans la tête, mais aussi dans celles de tous les dirigeants des organismes d’aide internationaux… !
En nous nous engageant, Chloé et moi avions été préparées aux éventuelles difficultés, épreuves, chocs mais finalement quand nous les vivons, cela dépasse ce que nous nous étions imaginées ! C’est la réalité mais en puissance 10 !
Au bout de ces quelques mois, la fatigue commence à se faire ressentir sur nos frimousses ! L’adaptation nous demande des efforts au quotidien parfois considérables ! Le manque de confort, les petites bêtes à supporter, le mode alimentaire différent, la chaleur, les pannes d’électricité parfois fréquentes, mais surtout et avant tout l’intégration à la population locale, l’éloignement avec nos proches, la différence culturelle, le travail prenant viennent souvent puiser notre énergie...
Nous nous rendons compte que l’interculturalité est telle que pour une simple conversation, nous avons souvent des difficultés à communiquer, à nous comprendre, à mettre la même signification sur les mots. Cela touche parfois à plus de profondeur quand nous nous rendons compte que nous avons des manières différentes de penser ou encore que culturellement nous ne pouvons pas trouver un terrain d’entente puisque cela touche à nos limites et valeurs réciproques. Même si nous partageons la même langue, la communication est un véritable challenge pour nous à savoir qu’il faut toujours anticiper ce que nous souhaitons dire en se demandant si les mots utilisés seront adéquats, si notre message sera compris, si la réception risque d’entrainer des émotions ou des réactions... Il y a une citation de Bernard Weber qui résume très bien, ce que je souhaite vous exprimer c’est que : “Entre ce que je pense, ce que je veux dire, ce que je crois dire, ce que je dis, ce que vous voulez entendre, ce que vous entendez, ce que vous croyez comprendre, ce que vous voulez comprendre, et ce que vous comprenez, il y a au moins dix possibilités de ne pas se comprendre. Mais, essayons quand même.”
Voilà le défi que nous relevons au quotidien !
Malgré notre délicatesse, nos bonnes intentions, notre attention, il est vrai aussi que l’histoire du continent, le passé colonial et notre couleur de peau nous rattrapent vite, influencent la légitimité, la bienveillance de nos relations, nous entrainent dans les difficultés, biaisent l’authenticité de nos relations ! L’image de la supériorité du blanc reste pour certains très forte alors que nous avons chacun à apporter et à recevoir de l’autre...
Aussi, je vous avais déjà manifesté que face aux difficultés à l’hôpital, à un pays d’accueil si différent, aux remises en question, chocs, ressentis, il fallait faire part parfois de beaucoup d’acceptation et d’humilité. Ce sont ces 2 attitudes que j’ai adoptées dans les situations de “crise” !
Nous continuons de nous interroger sur l’impact et le sens de nos missions, sur la manière dont nous pouvons aider durablement, sur la légitimité de notre place ici... Ces questions reviennent souvent en nous !
Ce sont finalement ces difficultés ressenties qui donnent toute l’importance à notre mission, qui nous font grandir et nous rendent plus fortes toutes les deux !
Au delà des soins et des difficultés à l’hôpital, je ne vous ai pas encore parlé de mon rôle d’éducation et de prévention, rôle dont j’ai beaucoup de plaisir. Il occupe tout de même une partie importante de mes fonctions.
Tous les mardis, nous recevons les femmes enceintes du village et des alentours pour les consultations prénatales. Avant l’examen clinique et paraclinique, une séance d’information et d’éducation leur est donnée par mes soins... Cela prend des thèmes variés en vue de l’arrivée de bébé : hygiène de la femme enceinte, surveillance médicale pendant la grossesse, allaitement maternel et artificiel, soins au nouveau né... C’est un moment privilégié avec la population et que j’apprécie beaucoup... J’arrive à créer un certain climat de confiance avec ces futurs mamans qui me connaissent très bien maintenant, m’écoutent avec attention, posent de nombreuses questions, se confient...
Chaque mois est également organisée une journée de vaccination qui a lieu le mercredi. Au Cameroun, les vaccins sont gratuits jusqu’à l’âge de 9 mois. Le coût des vaccins est réglé par le gouvernement camerounais, lui-même aidé et financé par divers organismes internationaux... Alors, en général, ce jour là, les mamans viennent en masse avec leurs bébés et nous, soignants, sommes alors partis pour une longue matinée de vaccinations à la chaîne !! Je ne vous dis pas les pleurs et les cris des bébés qui viennent abasourdir nos petites oreilles ces jours là ! Pour ce qui est de la prise en charge de la douleur, j’essaye de proposer aux mamans de mettre leur enfant au sein pendant la vaccination et de sensibiliser ainsi le personnel soignant à un soin qui se passe ainsi dans des meilleurs conditions ! Ce n’est pas toujours gagné, mais certains commencent à saisir cette opportunité ! Sinon, mon vaccin préféré est celui de la poliomyélite puisqu’ici ce vaccin se fait par voie orale, seul quelques gouttes sont déposées dans la bouche de l’enfant et suffisent pour permettre une protection optimale ! Et vous vous doutez bien qu’au niveau prise en charge de la douleur, nous sommes sûrs d’atteindre les 100% de réussite !!
Depuis que je suis arrivée, j’ai pu profiter de cette affluence massive pour passer des messages clés sur la santé comme par exemple : l’importance de la vaccination chez les enfants, la malnutrition infantile, le paludisme, l’allaitement maternel, la diversification alimentaire... J’élabore alors des powerpoint sur ces différents sujets qui sont un bon support pour échanger et sensibiliser de manière ludique et interactive ces jeunes parents. Aussi, avant de vacciner, les enfants sont vus en consultation avec un médecin et une infirmière. C’est très intéressant, car c’est durant ces petits moments précis, que nous dépistons certaines pathologies: hernies, mycoses, malnutrition, bronchiolite, paludisme, anémie et j’en passe ! Notre observation clinique est donc très importante et gage de prévention !
Enfin, je me rends compte que faire ces petites actions de sensibilisation et d’éducation me permet de réactualiser mes connaissances et de me renouveler ! C’est très enrichissant et donc très formateur !
L'hôpital commence à prendre des couleurs...Il faut dire que je suis en train d'y laisser des traces avec toutes mes affiches sur les murs.... Cela fait plaisir de voir qu'elles suscitent l'attention de tous ceux qui sont de passage à l'hôpital et puis cela donne aussi et tout simplement de la Vie !
Je finis en vous expliquant la mission de Chloé, mission dont je vous ai encore trop peu parlée.... Elle est chargée d’assurer la gestion administrative et financière de l’hôpital. C’est principalement la lourde tâche qui lui a été confiée, celle de clarifier et de redresser les finances de l’hôpital ! Travail qui est un vrai casse tête car bien souvent elle n’a pas les factures sous la main et elle doit donc jongler avec des millions de francs CFA qui sortent par ci par là.... Recensement et tri des factures éparpillées, gestion des salaires, bilans d’ouverture et de fin d’exercice pour l’année 2014, rapports financiers, budget pour l’année 2015 et rapport d’activités, voila ce à quoi elle s’est attelée depuis plusieurs mois ! Elle a aussi un rôle dans les ressources humaines: gestion, recrutement, management des équipes. Malheureusement, les tâches financières lui prennent la majeure partie de son temps et de son énergie, cela lui est un frein pour dégager du temps pour la gestion des ressources humaines et y développer son rôle à part entière.
Voilà, j’admire beaucoup son audace devant un état financier tel qu’il y a tout à reconstruire puisqu’aucune comptabilité n’a été tenue depuis la création de l’hôpital (il y a eu un comptable pendant quelques mois, mais il n’a rien produit et en a même profité pour s’en mettre par derrière plein les poches). Comme elle le dit si bien: “dans un monde parfait, pour effectuer la moindre analyse ou décision financière, on utilise des données et des chiffres. Dans mon monde à moi, ceux-ci n’existent pas.” Son travail est énorme, et j’en profite pour lui tirer mon chapeau !
Malgré toutes les précautions prises, je n’ai pas pu y échapper et j’ai attrapé le paludisme ce week end. Ce parasite est venu puiser mon énergie et mes forces, l’épuisement fut tel que j’étais clouée au lit !
Après 3 jours de traitement antipaludéen, je me sens mieux et je retrouve du pep’s petit à petit. De plus, Maman vient me rendre visite et j’ai quelques jours de congés à l’horizon, autant dire que le repos et le réconfort tombent à pic !
J’espère que vous passez un bon début d’année.
Au plaisir de vous lire.
Bien affectueusement.
Claire