“Je suis venu pour la première fois à Douai la semaine même où j’ai quitté le séminaire.
Nous étions un petit groupe de séminaristes et nous avions souhaité revenir sur les pas des premiers étudiants de notre collège. Parmi eux se trouvait un certain père Ralph Sherwin. Il avait commencé à se former à la prêtrise, ici à Douai, en 1577. Il étudiait au collège anglais.
A cette époque, la reine Elisabeth I avait fermé les séminaires catholiques et interdit aux prêtres catholiques d’exercer leurs ministères dans son royaume. Le collège anglais de Douai avait été fondé pour accueillir ceux qui voulaient devenir prêtre. En ce jour de la Fête Dieu, où nous rendons grâce pour la très sainte Eucharistie, nous nous souvenons que la reine d’Angleterre avait interdit aux catholiques de recevoir le Corps et le Sang du Christ.
Rendons grâce pour ces hommes courageux qui ont choisi d’aller étudier à l’étranger, à Reims, Saint-Omer ou Douai, pour être ordonnés et pour apporter les sacrements aux catholiques d’Angleterre, du Pays de Galles et d’Écosse. Ils ont pris de grands risques car il était illégal non seulement d’être prêtre catholique en Angleterre, mais aussi d’être séminariste. La peine pour cette infraction était la mort par pendaison, étouffement et écartèlement.
Et pourtant, de très nombreux jeunes gens se sont donnés pour devenir prêtre. À leur retour en Angleterre, ils ont vécu difficilement, dans la clandestinité. Ils devaient se cacher le jour dans les bois et passaient les nuits chez des catholiques courageux à baptiser, confirmer, entendre des confessions et célébrer la messe. Ils étaient souvent trahis par des espions qui s’infiltraient dans les communautés catholiques et étaient arrêtés alors qu’ils célébraient la messe pour être emprisonnés et torturés.
Aujourd’hui, je me réjouis de l’occasion que cette fête me donne de remercier la ville de Douai pour son extraordinaire générosité. Car, sans l’hospitalité fidèle de cette ville pendant plus d’un siècle – et des autres villes que j’ai déjà mentionnées - la foi catholique en Grande-Bretagne aurait pu s’éteindre.
Votre accueil a été si grand que le collège anglais de Douai s’est rempli. C’est pour cela qu’un deuxième collège anglais a été créé à Rome. Le père Ralph Sherwin a été le premier ancien du collège anglais de Douai à se rendre à Rome. Et il a été aussi le premier ancien à retourner en Angleterre. Il voyagea en compagnie de l’un des jésuites les plus célèbres de cette époque, le père Edmund Campion. Appréciés des catholiques anglais pour leurs ministères, ils furent finalement capturés, terriblement torturés, emprisonnés à la Tour de Londres, puis exécutés à Tyburn, dans le West End de Londres.
Nous, les cinq séminaristes, ayant terminé notre formation, avons voulu revenir sur leurs pas de Rome à Londres. Je dois souligner que nous ne l’avons pas fait à pied, comme ils l’ont fait, mais en train - juste au cas où vous vous poseriez la question ! De Rome, nous nous sommes rendus à Milan, où saint Charles Borromée avait accueilli des prêtres, à Genève, où ils s’étaient confrontés à Théodore de Bèze et d’autres calvinistes, et, avant de traverser la Manche, à Douai. Notre désir profond était de célébrer la messe dans cette ville dédiée à Notre Seigneur caché dans la très sainte Eucharistie.
Nous avons souhaité célébrer la messe à l’autel même du collège anglais de Douai, qui est conservé dans cette église, près de l’entrée au nord du bâtiment. Vous pouvez imaginer à quel point nous nous sommes sentis proches de nos protomartyrs, st Ralph Sherwin et st Edmund Campion, alors que nous présentions la coupe du salut sur l’autel anglais.
La sainte Hostie était vraiment leur nourriture pour le voyage de Douai, à Reims, à Tyburn jusqu’à Londres, lieu de leur martyre. Le témoignage radical de nos ancêtres sur l’Eucharistie devrait nous faire réfléchir à sa signification dans nos vies quatre siècles plus tard.
L’Eucharistie est un miracle partout où elle est célébrée, que ce soit dans les plus grandes églises et cathédrales du monde, dans l’obscurité d’une cellule de prison ou d’un lieu de cachette. C’est une tragédie quand l’Eucharistie devient le lieu de la division entre chrétiens. La volonté du Seigneur est que l’Eucharistie unisse son peuple en un seul corps, annonçant joyeusement le salut, sa mort et sa résurrection jusqu’à ce qu’il revienne.
Le miracle de la multiplication des pains que nous entendons dans l’Évangile d’aujourd’hui nous rappelle comment le Seigneur choisit de prendre le peu que nous avons à offrir pour en tirer des fruits abondants, suffisants parfois pour nourrir une multitude. C’est typique de la merveilleuse façon dont Dieu travaille parmi nous. Il ne fait pas simplement apparaître miraculeusement un grand banquet de nulle part. Non, il prend ce que nous apportons, aussi insignifiant que cela puisse paraître, même s’il ne s’agit que de cinq pains et deux poissons, ou d’un peu de pain et de vin. Avec cela, il peut nourrir des milliers de personnes.
Et pourtant, le miracle de l’Eucharistie dépasse de loin le miracle de la multiplication des pains. Dans l’Eucharistie, le Seigneur nous nourrit de son propre corps et de son sang et vient ainsi habiter en nous. Nous avons entendu dans la deuxième lecture le récit de saint Paul sur l’institution de l’Eucharistie, dans la première lettre aux Corinthiens. Nous avons entendu ces paroles merveilleuses prononcées lors de la dernière Cène : « Ceci est mon corps, livré pour vous... Ceci est la coupe de mon sang, le sang de l’Alliance nouvelle et éternelle... Vous ferez cela en mémoire de moi. ». Pendant des siècles, les chrétiens ont débattu sur le sens de ces paroles remarquables. Pour beaucoup, il a semblé que ce devait être un symbole ou une métaphore. Comprendre, dans ces paroles, la présence réelle de Notre Seigneur dans l’Eucharistie, nous permet d’en accueillir les fruits nombreux.
En cette Fête Dieu, il est bon d’entendre à nouveau les mots de saint Thomas qui nous conduit vers la plénitude du sens de l’Eucharistie. Rappelons-nous comment il décrit l’Eucharistie comme le banquet saint dans lequel le Christ est reçu, le souvenir de sa Passion est renouvelé, l’intelligence humaine est remplie de grâce et un gage de la gloire future nous est donné.
Cela mérite d’être répété : l’Eucharistie est le banquet saint dans lequel le Christ est reçu, le souvenir de sa Passion est renouvelé, l’intelligence humaine est remplie de grâce et un gage de la gloire future nous est donné.
Une autre façon d’exprimer le même mystère est de dire que l’Eucharistie rend le sacrifice du Christ sur le calvaire présent et efficace parmi nous. Elle nous donne un avant-goût du banquet céleste lorsque toutes nos divisions seront surmontées et que nous nous retrouverons unis pour louer et honorer le Père. Elle nourrit la vie de grâce, commencée avec notre baptême, poursuivie tout au long de notre vie terrestre et dans la vie éternelle qui nous attend. Le divin habite en nous, le Christ demeure en nous de sorte que « ce n’est plus nous qui vivons, mais le Christ qui vit en nous ». Encore une fois, demandons-nous : comment pourrions-nous recevoir de tels dons merveilleux si l’Eucharistie n’était qu’une reconstitution symbolique de la dernière Cène?
Les miracles eucharistiques comme celui qui a eu lieu ici à Douai il y a près de huit cents ans, nous rappellent le miracle quotidien de l’Eucharistie : Le Christ est réellement présent, dans l’Eglise, parmi son peuple. Il le transforme toujours plus parfaitement à sa ressemblance.
Comme l’a dit saint Augustin, l’Eucharistie est différente des autres aliments, car lorsque nous recevons l’Eucharistie, nous devenons ce que nous mangeons, plutôt que l’inverse. En nous nourrissant du corps et du sang du Christ, son corps mystique, c’est-à-dire l’Église, est édifié. Quand nous communions ensemble, nous ne sommes plus des individus isolés, nous sommes progressivement unis dans une communion beaucoup plus profonde que celle que nous connaissons sur cette terre. Tout comme les grains de blé séparés sont cuits dans un seul pain, de même les chrétiens qui participent à l’Eucharistie sont liés ensemble dans le Corps Unique de Celui qui est mort et ressuscité pour nous. Ce miracle quotidien de l’Eucharistie est certainement la cause de notre joie profonde en ce jour de fête.
Nous remercions le Seigneur en effet pour sa présence parmi nous, une présence qui sauve, qui guérit et qui transforme. Nous le remercions pour la grande intimité avec lui dont nous jouissons à travers ce merveilleux sacrement. Nous le remercions pour le témoignage de tant de saints et de martyrs tout au long de l’histoire de l’Église. L’amour du Seigneur les a inspirés à donner leur vie pour lui, comme il a donné sa vie pour nous.
En ce jour, exprimons nos remerciements les plus profonds pour le sacrifice suprême offert par tant de prêtres de Douai par amour pour le Seigneur et l’Eucharistie. En portant le Saint Sacrement en procession, en vénérant l’hostie sacrée dans laquelle le Christ est vraiment présent, nous cherchons à approfondir notre compréhension, notre appréciation du miracle quotidien de l’Eucharistie.
En célébrant l’Eucharistie aujourd’hui, en honorant le Très Saint Sacrement du Corps et du Sang du Seigneur, en remerciant Dieu pour ce don des plus merveilleux, nous prions pour que nous grandissions et devenions chaque jour de plus en plus semblables à Celui dont nous recevons le Corps et le Sang. Nous prions aussi pour que, sous le regard aimant et l’intercession sure de tous les martyrs de Douai nous puissions nous engager aussi joyeusement qu’ils l’ont fait dans cette mission d’annoncer sa mort qui nous sauve et sa résurrection aux hommes et aux femmes de France et d’Angleterre aujourd’hui.”