Un livre... "Mort ou Saint"

Article publié sur le site Padreblog... Je vous propose de lire l'avant propos de l'auteur... Un peu long mais ca en vaut la peine !

 

 

 

Mort ou Saint

Un livre qui ne laisse pas indifférent, comme le fait pressentir cet avant propos de l’auteur ci dessous.

 

Un chemin vers Dieu qui nous est offert à travers une biographie.

Un livre de Olivier M. aux éditions Sarment/Jubilé.

Vous pouvez trouver le livre sur http://chretien-espiegle.over-blog.com/pages/Achat_et_contact-1986091.html,ainsi qu’un autre livre du même auteur : “Petits cailloux pour une sainteté espiègle” à découvrir et méditer.

 

 

 

« Converti très jeune, j'ai quitté les études et ma famille pour partir au triple galop sur les routes du Seigneur, vivant à fond ma vie de chrétien, évangélisant autour de moi, priant la nuit dans une église dont j'avais la clé, seul face à Jésus, dans le noir complet, juste avec cette petite lumière rouge du tabernacle... J'ai passé des heures à parler de Dieu avec les clochards, je ne pouvais pas prendre le train sans témoigner au moins une fois au cours du voyage, je me débrouillais pour trouver une messe dans la journée, disais le chapelet, jeûnais quand je le pouvais. Et pourtant... un manque étrange, une amertume indicible, m'a peu à peu affaibli. Les démons de ma jeunesse reprirent du terrain, jusqu'au moment où ils remportèrent certaines victoires cuisantes... Le sacrement du pardon n'y changeait rien, si ce n'est de m'enfoncer dans la désespérance et un sentiment de malhonnêteté venant du fait de promettre de ne plus pécher, alors que je voyais pertinemment que cela ne me donnait pas la force de changer.

 

    À dix-neuf ans je suis entré au monastère, sûr qu'une communauté de jeunes et d'anciens, soudés par ce même élan qui m'habitait, me donnerait enfin la liberté d'être un saint. Et j'eus le bonheur de voir mes démons s'envoler le jour même de mon entrée au noviciat. Je fus comblé par l'étude, comblé par les amitiés et comblé par la découverte du travail manuel. J'étais si heureux avec mes frères, tressaillant de joie presque tous les soirs en me mettant à genoux avant de me coucher, ayant parfois du mal à m'endormir tellement la soif de Dieu me faisait haleter. Et pourtant... ce manque étrange, cette amertume indicible, que les premiers temps de vie monastique me firent oublier, se cachait, toujours là. Avec le temps, l'amertume se répandit dans les eaux de ma volonté et mes démons revinrent tout joyeux, avec quelques amis en plus. On m'envoya dans différents monastères pour travailler sur des chantiers de construction... Je me suis donné généreusement dans le travail mais la routine vint à bout du caractère passionnant de mes activités, et je me retrouvais seul face à mon cœur. 

 

    J'ai cherché de toutes mes forces à travers les études comment m'en sortir, où donner de la tête pour enfin être libre d'aimer. J'ai suivi des maîtres spirituels et me suis confessé à des saints. Mais aucun ne m'a donné la clé. Bien sûr j'ai prié, rien n'y a fait. J'ai lu et relu tous les écrits de Thérèse, travaillant quelquefois des nuits entières pour être sûr de bien comprendre ce qu'elle disait. Il y avait comme un ravin infranchissable entre ce qu'elle enseignait et ma vie. Impossible de continuer à regarder vers le ciel malgré les chutes, et surtout impossible de ne pas faire de grosses chutes, ce que jamais Thérèse n'a connu. J'attendais désespérément « son » ascenseur, j'attendais désespérément que, comme pour elle, Dieu vienne me chercher. Mais il ne se passait rien, y avait-il un bouton sur lequel il fallait appuyer ? Personne n'a su me le dire.

 

      Être religieux, moine ou prêtre, être dans une vie consacrée et vivre cette amertume, ce manque indéfinissable, vous rend incapable d'aimer ou de changer, et vous amène peu à peu à ne plus avoir la volonté de rien. C'est alors un cauchemar d'être soudain contraint par toute cette forme de vie qui ne vous donne pas ce qui vous manque cruellement. Ma route a malheureusement croisé beaucoup de prêtres, des moines et moniales qui, à cause de cela, ont tout lâché pour s'enfuir dans une vie loin de Dieu. Pour moi, cela s'est traduit d'abord par un violent désir d'alcool, de nourriture et d'affectivité. On me suggéra évidemment de repartir « dans le monde ». 

 

    Dans l'année qui suivit, je commençai une école de charpentier, tombai amoureux et me fiançai, peut-être était-ce cela qui me manquait ? Nous voulions tous les deux devenir saints. Mais la routine fut au rendez-vous, et l'amertume aussi. Alors, nous avons décidé de vivre et de coucher ensemble avant même de se marier. Ce fut bien pire, et pourtant, j'en étais venu à assouvir tout ce que je voulais et dès que je le voulais. Rupture. La pauvre ne pouvait pas comprendre, parce que nous nous aimions et j'étais moi-même incapable d'expliquer cette amertume qui m'habitait. 

 

    Un père du monastère d'où je venais me proposa d'aller vivre à l'étranger auprès des plus pauvres, « me donner aux autres », peut-être était-ce cela dont j'avais soif ? Un jour de décembre, j'ai fait mon sac et je suis parti en stop à travers l'Europe.

 

    Pendant plusieurs années, j'ai donc vécu avec les jeunes de la rue. Certaines circonstances me permirent de leur proposer de quitter avec moi la capitale, pour aller habiter et retaper une sorte de village abandonné. Nous allions le dimanche dans une petite église orthodoxe, je priais de temps en temps, mais c'était devenu secondaire. Nous avons eu une vie très rude avec peu de moyens. Ni eux ni moi n'oublieront jamais cette aventure merveilleuse.

 

    Des routiers et des routards se passèrent le message et vinrent de plus en plus nombreux pour nous aider. Le village se construisait, tout le monde s'épanouissait ; d'un point de vue « humanitaire » cela avait une apparence de réussite, les jeunes de la rue m'aimaient et me manifestaient beaucoup leur affection, pourtant... toujours ce manque, cette amertume. Pour fuir ce sentiment qui semblait croître avec l'âge, j'en vins résolument à me brûler les ailes. La seule chose qui m'empêchait d'y penser étant la passion charnelle, je m'y jetais donc à corps perdu. Profitant de ma jeunesse, je fis n'importe quoi avec n'importe qui.

 

    Je serais encore aujourd'hui prisonnier de la jungle de cette vie dépravée si un gosse de la rue, celui qui est en photo sur la couverture de ce livre, ne m’avait donné une claque magistrale. On se connaissait depuis longtemps, j'avais réussi à l'apprivoiser pour qu'il accepte de se faire soigner de la tuberculose, mais les choses avaient empiré et une méningite mit violemment sa vie en danger. Pendant des mois, j'ai été seul à me battre pour qu'il puisse être hospitalisé. Quand on commença enfin le traitement, il était mourant et fut sauvé de justesse. Un jour, après sa guérison, il se planta devant moi et me regarda intensément, puis, sans que je comprenne pourquoi, il se mit à pleurer en secouant la tête : « Tout ce que tu fais, ça ne sert à rien. Tu me déçois ! Comme tu me déçois ! » Son visage avait une telle expression d'amour pour moi, c'était si inattendu, si mystérieux, que je me suis tu, profondément bouleversé. « Je veux que tu rentres en France, que tu rentres là-bas chez toi, et que tu pries ! » Je vivais là depuis cinq ans et me sentais incapable de changer de vie, incapable de revenir à Dieu. Mais ces larmes qu'un gosse versait, parce qu'il voyait bien quel genre de vie je menais, donc des larmes d'amour pour moi, pour mon bien, ces larmes m'ont fait tomber à genoux dans mon cœur. J'ai baissé la tête comme un fils devant son père, et j'ai promis de faire ce qu'il me demandait.

 

    Trois jours plus tard, j'étais en France et me retrouvais seul. Depuis des années, je n'avais pas été en solitude ; même au monastère, on n'est pas seul : il y a les frères, et on est comme entouré par le cadre et le rythme de vie. Là, il n'y avait plus rien, plus de projets, plus de formes ou de règles, plus de personnes à aimer ou à sauver, plus d'évènements, juste moi et... Lui. J'ai fermé doucement la porte derrière moi, puis, sentant l'amertume monter en mes entrailles, je me suis enfin laissé tomber à genoux. « Mon Dieu, je ne t'aime pas », et soudain, j'ai réalisé combien mon amertume venait de là : « Je ne t'ai jamais aimé pour toi-même. Je voulais devenir un saint, je voulais brûler d'amour pour toi, je voulais parler de toi, je voulais faire plein de choses, j'ai passé des heures à te prier, à te parler, mais ce qui me préoccupait, c'est moi t’aimant et non pas toi. » Toutes les fibres de mon être aspiraient à un oxygène que je ne lui avais jamais donné : aimer le Père pour lui-même, au-delà de ce que je pouvais vivre ou ressentir. Et dans l'instant même, je lui ai dit : « Je veux t'aimer pour toi-même, mais j'en suis incapable. »

 

    J’ai eu alors la certitude que c'était la seule chose qu'il voulait me donner : l'Esprit Saint. C'est lui qui est « amour de Dieu pour lui-même ». C'est cela la Résurrection, le don que Jésus est venu nous faire à la croix. Et j'ai vraiment voulu croire qu'il me donnait l'Esprit Saint tout de suite. Je n'ai rien senti, je n'ai pas pleuré, je n'ai pas été brûlé de désir, j'ai seulement cru. C'est ma foi qui permettait enfin que cela se fasse. Je voudrais que le monde entier voie ma vie depuis cette heure-là. Dans ce choix d'aimer le Père, je suis re-né d'en haut. La mort s'en est allée. Définitivement, j'en suis sûr. Plus jamais je ne suis retombé, je parle des grosses chutes qui n'avaient cessé de m'empoisonner jusque là, et surtout, j'avance à grand pas comme Thérèse, dans une liberté de folie. Aimer le Père. Je dis bien « le Père ». Parce que Jésus se donne à nous, l'Esprit se donne à nous, c'est donc eux qui font l'action de nous aimer, mais le Père lui nous attend, il veut nous donner le bonheur de l'aimer Lui, pour lui-même. C'est l'unique raison pour laquelle il nous a donné son Fils et son Esprit.

 

     Je veux absolument qu'on me comprenne, parce qu'il y a une multitude de jeunes qui brûlent de devenir saints, qui sont vraiment consumés par une ardeur d’être tout à Dieu comme je l'ai été, et qui vivront ce que j'ai vécu et aboutiront à la mort à laquelle j'ai aboutie. Il y a deux manières de considérer la petite voie de Thérèse, comme il y a deux manières de considérer la sainteté. La première que tout le monde enseigne et qui finit par épuiser même les plus fougueux, c'est de croire que nous devenons des saints, en nous donnant à Dieu par les petites choses que décrit si bien Thérèse. On croit que par nos petits efforts et notre conversion, nous finirons par aboutir au but : Dieu viendra alors nous chercher, nous prendra dans ses bras, et nous seront des saints. C'est faux. Parce que le cœur de Dieu s'atteint tout de suite. Il n'y a aucun chemin qui puisse aboutir à Dieu, à la sainteté, au contraire, le fait de croire que c'est au bout du chemin nous empêche de l'atteindre tout de suite. Et comment l'atteignons-nous ? En voulant y croire. Car cela nous est effectivement donné.

 

    La première manière considérait une vie pour atteindre un but, pour atteindre le cœur de Dieu, la deuxième manière commence par une union au cœur du Père, et éclate en fécondité d'une vie libre et joyeuse, gratuitement donnée. C'est diamétralement opposé. Une chose est d'aimer quelqu'un par amour pour lui dans la paix d'une union déjà réalisée, une autre de l'aimer pour « parvenir » à l'atteindre. D'un côté, il y a une joie, une paix, de l'autre, on est tendu et pas libre du tout, parce que « si on n'aime pas, on ne sera pas un saint ». Il m'est donné tout de suite d'être uni à Dieu, c'est le terme de ma vie et c'est déjà être saint. Tout le reste de ma vie consiste en une sorte de réciprocité enfantine, espiègle et rayonnante. J'attendais désespérément l'ascenseur de la petite Thérèse. Mais c'est la foi qui est l'ascenseur divin. Et le bouton sur lequel il faut appuyer, c'est le choix auquel aspire tout être humain et dont le manque rend capable des pires bêtises : choisir d'aimer Dieu pour lui-même. Ma foi est une action de l'Esprit Saint en moi, elle est « Dieu qui vient me chercher ».

 

    L'Eucharistie est le pain de la foi, elle est signe que nous assimilons le Corps du Christ et, par le fait même, que nous devenons un seul corps avec Dieu. Mais personne n'y croit. Croire que dès maintenant et sans conditions je suis uni au Père, malgré toutes mes imperfections qu'il brûle dès que je me mets dans ses bras. Et qu'importe que je n'aie aucune évidence ? Qu'importe que je n'aie aucun vécu, aucun ressenti si cela est ? N'est-ce pas Lui que j'aime ? N'est-ce pas à Lui que je voulais être uni ? Cela m'est donné tout de suite, et j'y crois.
    Que je sois jeune ou vieux, marié, moine ou prêtre, apôtre sur la route ou tout donné au fond d'un bidonville, il y aura toujours ce vide, ce manque de l'essentiel, cette solitude amère au creux de mon être si avant tout, je ne cherche pas à aimer Dieu pour lui-même. Parce que l'étoffe de mon être est divine, faite pour aimer Dieu. Tout, absolument tout le reste, découle de cela. L'amitié, l'amour, la sexualité, l'apostolat, le travail, la paternité ou la maternité, la solitude ou la communion, tout se vit en plénitude, en liberté, en joie et en audaces dans cet amour premier pour le Père.
    J'ai commencé la construction d'un petit ermitage caché dans la nature. Le gosse continue à m'appeler d'une cabine téléphonique de son quartier tous les deux ou trois mois, comme pour s'assurer que je suis fidèle. Si, d'une certaine manière, je lui ai sauvé la vie, lui a sauvé bien plus que ma vie, il a sauvé mon âme.

 

    En trois jours de solitude, la routine est revenue, mais l'amertume qui l'accompagne est devenue mon allégresse. À chaque fois qu'elle vient me visiter, c'est pour moi l'occasion d'une fête, celle du re-choix, l'occasion de lever les yeux vers le ciel et de décrocher un immense sourire à Dieu, juste comme ça pour lui faire plaisir, comme un enfant sourit à son père : « C'est Toi que je veux aimer ! »

 

    Un soir, un prêtre frappe à ma porte, cherchant un lieu pour célébrer la messe... Il est devenu mon père spirituel. C'est lui qui m'a demandé d'écrire les petites découvertes que la solitude et l'amitié avec Dieu m'ont permis de faire au fur et à mesure des semaines qui passent, tout en construisant l'ermitage. Ce que je cherchais désespérément avant, se transforme aujourd'hui en toutes petites clés. Il y a à travers ce carnet les lumières de joie qui font de moi un garçon définitivement libre d'aimer Dieu et ceux que je rencontre, marchant tous les jours avec Jésus sur l'eau de ma sensibilité et de ma volonté.

    J'aurais voulu que quelqu'un d'autre l'ait écrit pour moi quand j'avais vingt ans, c'est uniquement pour cela que je le communique, pour éviter à d'autres de se perdre comme je me suis perdu malgré une première conversion ardente. Ces sont des petites découvertes pour partir à l'aventure d'une véritable amitié avec Dieu. Une amitié durable, fougueuse, absolument personnelle et unique à chacun. »

Article publié par Rémi Sprit • Publié le Vendredi 08 janvier 2010 • 2303 visites

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