Voulez-vous que nous fassions ce petit effort en vue d'une meilleure intelligence de notre foi? Faute de quoi, nous passons vite aujourd'hui pour des niais.
Ce résumé de la foi s'appuie sur deux révélations qui lui donnent sa structure, en forme d'arche:
voici la première : au commencement était le Verbe...
et voici la seconde : le Verbe s'est fait chair...
Mais qu'est-ce que le Verbe?
Jean répond : c'est d'abord un mystère qui était caché au fondement de la création et qui vient de nous être révélé :
le Verbe, c'est toute l'intimité de l'amour gratuit et infini de Dieu s'émerveillant de Lui-même, comme projetée, révélée dans sa plus belle forme d'expression,
sans laquelle la vie n'existerait pas,
sans laquelle la lumière n'existerai pas non plus !
Et lorsque ce Verbe se révèle dans cette vie, celle-ci apparaît lumineuse, c'est-à-dire toute resplendissante de beauté !
lumineuse et toute-puissante,
car rien, pas même les ténèbres, ne peut arrêter le rayonnement de son existence!
Et lorsque le moment est venu pour le Verbe de se révéler pleinement à nous,
non plus seulement à travers la splendeur et l'immensité de la vie,
mais en lui-même, en rien d'autre, en personne d'autre,
alors, nous dit st Jean, le Verbe s'est fait chair !
Et qu'est-ce que c'est, cette chair, pour Jean l'évangéliste?
C'est tout ce qui constitue notre fragilité, notre faiblesse, notre vulnérabilité !
Est-ce que cela signifierait que Dieu, dans toute sa majesté, a voulu se faire connaître sous l'apparence de la faiblesse ?
Non, nous dit St Jean, c'est infiniment plus que cela :
le terme grec « egeneto » employé par St Jean pour nous faire entrer dans l'intelligence de ce mystère, atteste que le Verbe est vraiment devenu chair ;
pour St Jean, nous l'avons, dit, la chair, c'est tout ce qui nous rend nous rend fragiles et vulnérables;
et donc, c'est dans ce qui nous rend faibles, pauvres, fragiles et vulnérables que Dieu vient se révéler, se communiquer et se donner à nous, dans toute la plénitude de sa divinité !
Voilà, chers frères et sœurs, tout le message de cet évangile, tout le message de Noël!
Les anges, nous dit St Paul dans sa lettre aux éphésiens, ne cessent de s'étonner à cause de la profondeur de ce mystère d'une nouveauté sans pareille. C'est ce que nous avons voulu exprimer à travers la crèche réalisée dans cette église Notre-Dame, avec tous ces anges qui virevoltent, complètement ébahis, au-dessus de nos têtes !
Et s'il faut que tout le ciel se penche vers nous à Noël pour nous crier ce message, c'est précisément parce que quelque chose en nous résiste à ce message. On le sait bien :
La faiblesse n'a pas sa place dans la course à la réussite ! Et pourquoi, n'a-t-elle pas sa place ? Parce que le mal, qui s'en est servi pour nous donner l'illusion qu'il fallait la combattre pour paraître tout-puissant, nous a coupés de Dieu. C'est pourquoi nous n'acceptons pas de nous sentir vulnérables parce que cette vulnérabilité réveille en nous un sentiment de culpabilité. Sa blessure, on ne peut la dévoiler que dans le cabinet d'un psy ou d'un médecin, ou dans un roman, ou dans un film, et de plus en plus, sur internet! En vérité, la vulnérabilité nous rend agressifs dès qu'elle s'approche de nous, dès qu'elle se réveille en nous ou dès qu'on nous la renvoie à la figure et qu'il faut la regarder en face !
Il n'y a que Dieu qui pouvait venir nous guérir à cette profondeur !
A Noël,
Dieu déposé dans une mangeoire épouse cette vulnérabilité pour nous guérir de sa blessure!
Dieu enveloppé de anges, revêt notre faiblesse devenue sentiment de culpabilité
pour la remplir de sa présence!
Dieu couché sur une paillasse habite notre pauvreté pour la combler de sa gloire!
Alors, la paille qui entoure cet autel n'évoque plus la futilité des choses mais nous rappelle que tout le créé, touché pas le Verbe de Dieu, est appelé à être éternisé et transfiguré dans une divine lumière!
les deux animaux qui se cachent au pied de l'autel nous rappellent que si un âne et un bœuf sont
capables de reconnaître leur maître, à plus forte raison seront-nous capables de reconnaître notre
maître et créateur dans la faiblesse du nouveau-né de la crèche
et tous les gestes les plus ordinaires de la vie quotidienne ne sont plus insignifiants
puisqu'ils sont devenus les gestes de la célébrations eucharistique: nos mains peuvent
désormais toucher, prendre, montrer et offrir le Verbe divin !
Comment accueillir ce Verbe né à Bethléem, la maison du pain, et qui ne s'est pas contenté de se révéler à Noël sous les traits d'une petit bébé, mais plus encore, à Pâques, dans quelques miettes de pain ?
Jean Vanier raconte qu'un petit garçon qui portait un lourd handicap comportemental désirait communier à la messe. On le prépare donc à faire sa première communion. C'est un jour de Noël; la messe est très belle. A la fin de la messe, l'oncle de l'enfant dit à l'oreille de sa maman : quel dommage que cet enfant ne puisse pas comprendre le sens de cette célébration ! et l'enfant qui vient de faire sa 1ere communion et qui a entendu, s'approche de sa maman et lui dit à l'oreille : t'en fait pas maman, Dieu m'aime comme je suis !
Oui, ce jour-là, le verbe s'est fait chair; l'enfant avait eu la révélation que ce Verbe était venu épouser sa faiblesse pour vivre en lui la rédemption du monde, la guérison des cœurs blessés, emmurés, endurcis dans l'illusion déçue de la toute-puissance. Alors, Dieu peut de nouveau entrer dans nos cœurs, et sa grâce y opère des merveilles : notre faiblesse se change en force divine !
Pour être plus concret, en conclusion, permettez-moi d'attirer votre attention sur un des points les plus difficiles à vivre ou à convertir aujourd'hui: le temps, ce temps qui nous oblige à vivre sur un rythme de plus en plus accéléré...
Comment laisser le Verbe divin habiter l'éclatement de ce temps qui nous est accordé sur terre, et
que l'on veut rattraper en cherchant à l'accélérer? Comment consentir au limites étroites du temps
qui nous est offert chaque matin?
Dans la poche d'une petite sœur du Père de Foucault tuée en Algérie en 1995, on a trouvé ces mots, écrits sur un papier : « Le moment présent est une frêle passerelle. Si tu la charges des regrets d'hier et des inquiétudes de demain, la passerelle cède et tu perds pied ! Le passé, Dieu le pardonne; l'avenir, Dieu le donne ! Vis le jour d'aujourd'hui ».
Père André MERVILLE