8 mois : doucement mais sûrement !

Avril 2015


Hey !!

A vous tous qui suivez mes aventures de près ou de plus loin...  

 

Au Cameroun, je vous dirai : “c’est comment ?”

En France, ce serait plutôt: “comment allez-vous ?”  

 

Quelles sont les dernières news du côté de chez vous ?!

 

Les vacances de Pâques pour les enfants doivent avoir commencé, l’IHAB fait attendre son verdict mais le soulagement doit être au rdv, la douceur des températures a donné l’envie à beaucoup d’entre vous de ressortir les salons de jardin et le barbecue, d'aller prendre le soleil sur la côte et pour les plus courageux de se baigner dans une eau encore bien fraîche, des bébés ont encore pointé le bout de leur nez... C’est tout ?!

 

Bientôt 8 mois ont passé...

 

Je continue à rester désemparée devant ce que peut être un hôpital africain et devant le peu de moyens que nous avons pour soigner... Il est vrai que passer du jour au lendemain de deux services de réanimation de référence et de pointe à un hôpital naissant en semi-brousse au plein milieu d’un continent si différent du notre ne doit pas aider ! J’ai encore du mal à quitter mes standards soignants européens où nous avons la chance d’avoir une asepsie rigoureuse, une technicité ultradéveloppée, des soins sans cesse innovants et surtout tout à portée de mains ! Le décalage est flagrant, impressionnant, trop grand ?!

 

Je continue à avoir un regard incompréhensif devant la négligence, le manque de réactions de certains parents face à l’état de santé de leurs enfants qui s’aggrave d’heures en heures, de jours en jours. C’est parfois lors de crises convulsives à répétition, de détresses respiratoires extrêmes, d’anémies sévères engageant le pronostic vital qu’ils se décident enfin à amener l’enfant à l’hôpital...

 

Quel est mon désarroi quand la situation devient fatale alors qu’elle aurait pu ne pas l’être si la prise en charge avait pu être plus précoce?!...

 

Je continue à réaliser à quel point les tradipraticiens, la médecine traditionnelle, les charlatans, les rebouteux du village gardent une place importante dans la culture du soin... Ils sont bien souvent très écoutés et consultés bien même avant un “réel médecin”...

 

Ici, le paludisme, c’est la maladie de la rate ! Effectivement, cette maladie tropicale entraîne souvent une splénomégalie (augmentation du volume de la rate), alors on trouve souvent des mamans qui arrivent avec leurs enfants qui ont des traces de lacération au niveau de cette organe faites par le tradipraticien du village pour les guérir... Malheureusement, ça ne pas fait grand chose, hormis leur laisser bien souvent des cicatrices sur le corps.

 

Comment pouvons-nous envisager d'impacter les mentalités pour éviter aux villageaois de commencer par aller voir le sorcier ou le charlatan du village ?!

 

Les croyances restent multiples et nombreuses... On trouve des colliers autour de l’abdomen des enfants, les mamans nous expliquent que ça protège l’enfant contre les éventuelles crises d’épilepsie ! Elles rigolent quand on leur dit que ça serre de trop et que ça ne permet pas à l’abdomen de bien se développer...

 

Je répète aux femmes enceintes d’avoir une alimentation riche en protéines, glucides, lipides, fer, calcium, phosphore.... Certaines croyances disent par exemple que manger des œufs pendant la grossesse donne des bébés qui seront chauves à la naissance !

 

Je continue à entendre hurler des enfants quotidiennement, à les voir se débattre dans un lit d’une telle force que même 4 bras parfois ne sont pas suffisants pour les contenir.... Les cris sont parfois tellement intenses, puissants, perçants, qu’en les entendant d’une oreille extérieure, on se demande vite ce qu’il peut bien se passer pour entendre une telle détresse. Ce sont ces mêmes cris que j'entends parfois la nuit de ma chambre... Bien souvent, la peur et la souffrance les gagnent ou les regagnent. Ces souvenirs les marquent, ils deviennent ainsi vite tétanisés à la moindre blouse blanche qui rentre dans leur chambre.

 

Quelle est ma joie et ma satisfaction quand j’arrive à leur donner le sourire quelques minutes lors d’un soin, à les rassurer et les calmer dans mes bras, à les distraire grâce à une histoire... !!! Cela reste trop rare malheureusement...

 

Quel décalage avec nos hôpitaux où la lutte contre la douleur est devenue une priorité depuis plusieurs années!!

 

Je continue de vivre de près ou de loin des accouchements heureux et d’autres malheureux...

 

L’ouverture récente du bloc permet enfin de faire des césariennes. Quel est et va être mon bonheur de sauver des nouveau-nés à terme... !!!

 

Je continue de rester étonnée parfois devant le manque de professionnalisme, de sérieux, de conscience professionnelle, l’attitude passive de certains collègues dans leur travail... Certains ont une réelle vocation soignante, de l’amour pour leur métier... D’autres me donnent l’impression d’exécuter des tâches parce qu’ils doivent travailler pour nourrir leur famille ou tout simplement subvenir à leurs propres besoins.

 

Cela me fait penser à une conférence camerounaise auquelle j’ai assistée, intitulée :  “Travailler pour vivre et gagner sa vie, ou travailler pour s’épanouir et accomplir une mission ?!”  

 

Paradoxalement, je suis aussi en admiration devant leurs conditions de travail, les horaires qu’ils font, les jours à l’hôpital qu’ils enchainent, les heures de sommeil qui leur manquent, les congés qu’ils n’ont jamais pris, ni eu depuis l’ouverture de l’hôpital... Ceci s’ajoute au contexte local, car bien souvent pour vivre et élever leur famille, ils travaillent parfois au champ avant ou après leur travail, ils se lèvent très tôt ou rentrent parfois très tard à cause du manque d’infrastructures et de l’état si mauvais des routes, ils jouent aussi tout simplement leur rôle de papa ou de maman mais dans des conditions si différentes des nôtres que cela doit rendre la tâche plus pénible et fatigante (combien d’énergie doivent-ils déployer et combien de temps doivent-ils passer à faire la lessive à la main, à cuisiner au feu de bois, à aller puiser de l’eau au puits pour les gestes de la vie quotidienne...)

 

Aussi, je trouve parfois qu’ils manquent d’énergie, d’enthousiasme... il n’est pas rare de voir des collègues s’endormir sur place et pourtant dans leur contexte la fatigue est peut être tout simplement humaine et légitime... Je sais aussi que parfois la faim les gagne et vient puiser sur leurs énergies car bien souvent ils n’ont rien à manger quand ils viennent travailler.... Je reste mal à l’aise quand je leur dis que je pars manger et ai tendance à vouloir leur proposer un simple petit “coup de pouce” mais ils me répondent bien souvent que “ça va aller, qu’ils sont habitués.”

 

Je continue de m’interroger sur la prise en charge de nos patients à savoir :

 

  • la résistance future aux antibiotiques avec tous ceux que nous prescrivons et qui ne sont pas toujours justifiés ou nécessaires

 

  • les traitements mis en place bien souvent à l’aveugle car pas de possibilité pour certains patients de faire les examens demandés faute de moyens financiers... Ici les médecins doivent faire preuve d’une grande gymnastique d’esprit pour prescrire le traitement le plus approprié possible et à moindre coût... Bien souvent, il faut prioriser ceux qui sont les plus importants même si parfois tous sont nécessaires pour une guérison dans la durée... Il n’est pas rare non plus que les traitements prescrits ne soient reçus par le patient que pour une durée d’un jour alors qu’il faudrait au moins 3 jours de traitement si on veut éviter les récidives.

 

La pauvreté et l’indigence sont très présentes, une poche de sang par exemple coûte ici 40000 FCFA (soit 61 euros), nous nous retrouvons souvent avec des enfants sous les bras qui nous arrivent avec 4-5 g/dl d’hémoglobine parfois même 3g/dl... Et sommes souvent confrontés aux pleurs des parents qui n’ont pas d’argent pour aller acheter la poche de sang et qui nous supplient de sauver leur enfant... On en revient donc souvent à l’impossibilité de soigner car manque d’argent ou de moyens. C’est déboussolant... Ici, le système transfusionnel est loin d’être organisé et agencé comme en France... Nous n’avons pas la chance d’avoir des poches de sang de réserve pour les urgences à l’hôpital. Avec le mauvais état des routes, parfois le temps d’aller chercher le sang et de le ramener, il est déjà trop tard...  C'est dans ces moments là que l'on se rend compte que le temps est précieux !

 

La sécurité transfusionnelle pose encore question, la dernière fois, un Papa est allé chercher pour son enfant du sang B- et on lui a donné une poche de sang B+...

 

Je continue d’être interpellée devant le manque de surveillance des infirmiers face aux patients. Ici, les voies veineuses diffusent trop souvent, les paramètres vitaux ne sont pris que trop rarement. Cela ne leur vient pas toujours à l’idée de poser de simples questions aux patients lors d’un soin pour savoir s’il est douloureux, s’il a de la fièvre, s’il a vomi, si ses urines sont de couleur “coca cola” . On est loin d’une prise en charge dans la globalité...

 

Alors, j’essaye tant bien que mal de leur en faire prendre conscience, de mettre en place une fiche de surveillance rapprochée du malade hospitalisé.... Mais je rame , je rame, je rame pour y arriver !!!

 

Je continue de rester choquée parfois devant la "dureté" avec laquelle la hiérarchie nous parle ou parle au personnel, l’autorité impossible à défier même quand nous avons raison et que nous sommes en vérité avec nous même.... Alors, vous imaginez, quand "la blanche" européanisée, libérée, prend la parole, parfois cela ne peut que déranger... Il est préfèrable parfois de me taire au risque d'entendre que je suis insubordonnée ou condescendante !

 

Chloé et moi sommes fatiguées en ce moment par tout ce que nous tentons d'entreprendre au quotidien et nous aimerions davantage que nos récoltes portent leurs fruits...

 

Et pourtant.... Bien des choses ont changé depuis l’ouverture de l’hôpital il y a maintenant tout juste 15 mois mais aussi, il faut le dire depuis notre arrivée.

 

Tour d’horizon...

 

  • La croissance de l’hôpital est exponentielle, de plus en plus de personnes affluent à l’hôpital. Les patients semblent satisfaits de leur prise en charge puisque beaucoup reviennent ou amènent des proches malades. De plus en plus de femmes enceintes suivent les consultations prénatales et décident de leur plein gré de venir accoucher dans notre hôpital. Le suivi, la surveillance et la prise en charge médicale les rassurent et elles commencent à se rendre compte de l’importance de ceux-ci pour leur santé et celle de leur futur bébé.
    Alors qu’ici des épidémies de rougeole sont encore présentes, les campagnes de vaccination mises en place ainsi que leur suivi ont permis d’atteindre 90% d’enfants vaccinés à Nkoulou. Atteindrons-nous les 100% ?!

 

  • Des médecins de garde sont désormais présents 24h sur 24 et 7 jours sur 7: ce qui permet aux infirmiers d’éviter des dépassements de compétences trop importants, chacun retrouve ses propres responsabilités à son échelle. Cela nous rassure et nous aide grâce aux connaissances que les médecins ont et que nous n’avons pas. Nous nous enrichissons mutuellement. Les patients qui viennent la nuit sont ainsi davantage en confiance et sereins.

 

  • L’ouverture de la bactériologie au laboratoire permet de proposer des hémocultures et d’adapter ainsi le traitement en trouvant l’antibiotique le plus adapté. Cela reste difficile néanmoins à obtenir quand un médecin le propose à un patient puisqu’une hémoculture coûte 15000FCFA (soit 23 euros) et qu’il faudrait en faire 3 comme en France pour que le résultat soit fiable.
    J’en reviens toujours à mon problème: la santé n’aurait-elle vraiment pas de prix?!

 

  • Après de multiples démarches mais aussi grâce à de nombreux dons, nous avons pu enfin nous équiper: bistouri électrique, aspirateur, respirateur, boites chirurgicales à césarienne et pour hernies, matériel stérile, parfois à usage unique (waouh).... Tout ceci fut nécessaire pour l’ouverture du bloc opératoire!!!! C’est une grande avancée.... Nous en sommes très fiers.
    Nous pouvons désormais pratiquer des césariennes, des hystérectomies... Opérer des hernies, des hydrocèles, des grossesses extra-utérines, des appendicites... Faire aussi des circoncisions, des curetages, des sutures dans des conditions plus aseptiques....

 

  • Des outils “qualité” se mettent en place: un questionnaire de satisfaction du patient sur son séjour à l’hôpital a vu le jour avec Chloé et moi, des rapports et feuilles d’événements indésirables commencent à être remplis et permettent de pointer les failles et d’y pallier, ma feuille de surveillance rapprochée du patient hospitalisé tend également à se mettre en place... Encore un beaucoup de chemin à parcourir pour former le personnel soignant sur son utilisation et leur faire prendre conscience de son importance. Mais une chose est sûre, si j'y arrive (car ce n'est pas encore gagné!), ça va permettre d’améliorer la prise en charge de nos patients, d’éviter les incidents, de permettre des soins de qualité et de mieux prendre soin les malades hospitalisés tout simplement.... 
    A quand la prise en charge dans la globalité?!

 

  • Les réunions de fin de mois sont plus tournées vers l’écoute et favorisent davantage la liberté d’expression et de parole de chacun sur les difficultés rencontrées, les solutions à apporter, le partage de vécu, les idées nouvelles... Chloé y met tout son coeur en tant que gestionnaire des ressources humaines.

 

  • A notre initiative et lors d’un week end en octobre passé au forum des associations avec Chloé, nous avons découvert une association appelée “malukna” qui signifie “échanges” en dialecte Bassa. Elle a pour but de favoriser les échanges solidaires en matériels (médicaux et paramédicaux) et en savoirs. Depuis, nous avons su créer un partenariat avec cette association franco-camerounaise chargée de récupérer du matériel médical désuet en France mais pouvant faire office de seconde main ici. Chloé et moi espérons que cet échange va se poursuivre dans la durée.

 

  • L'enrichissement de mes connaissances personnelles et les échanges de pratique: les accouchement, la délivrance du placenta, la prise en charge de la fièvre typhoïde et du paludisme, la malnutrition... Tout ceci n’a plus de secret pour moi !

 

  • Ma place au sein de l’équipe a évolué: après une phase d’observation ou de recul dans les premiers mois, j’ai appris beaucoup et suis passée de novice à experte en matière de malnutrition. Ainsi, une réelle collaboration s’est mise en place entre les médecins et moi-même. Je suis un peu devenue une personne réfèrente dans le domaine de la malnutrition et les médecins n’hésitent pas à me solliciter ou à me confier tous les enfants malnutris ! Je sens que mon avis, mes conseils, mes propositions leur sont importants.
    Même si ma présence ne va pas changer le monde et que mon travail pourrait être vu comme inutile...

 

Malgré les creux de la vague, les difficultés, les humiliations, les oppositions, les contradictions, les trahisons, les baisses de moral et de motivation, les abandons, les frustrations... Je suis encore et toujours là, je reste debout avec l’envie de continuer à accomplir cette mission qui m’a été confiée jusqu’au bout et qui m’a poussée à tout quitter pour être si loin de ma famille, de mes amis, de mes collègues.

 

Ici, j’ai fait de belles rencontres, j’ai découvert de nouveaux visages, j’ai appris à élargir et porter un nouveau regard.

 

Enfin, je suis surtout étonnée de ce que je reçois et plus étonnée encore d’être moi-même capable de tant donner...

 

Claire
 

 


Ci-joint: une petite vidéo illustrant mes propos ! Agréable lecture et bon visionnage tout en musique


 

Article publié par MICHEL LAISNE • Publié le Lundi 04 mai 2015 • 1572 visites

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