Lettre de Nkoulou

Octobre 2014

 

Ma chère Famille,
Mes chers Amis,

 

Nkoulou est un village se situant à 25km de Yaoundé (capitale politique et administrative du Cameroun), il est implanté en pleine forêt tropicale et est plutôt un endroit agréable à vivre car même si la population est en pleine expansion et compte à ce jour environ 3000 habitants, elle est loin d’atteindre les 2 millions d’habitants que compte Yaoundé...

 

Actuellement, nous sommes en pleine saison de pluies. Les averses rafraichissent nos journées même si le soleil reste majoritaire ne permettant pas à la température de descendre en dessous des 20 degrés... Les orages et le tonnerre qui ont lieu tous les jours provoquent des coupures d’électricité fréquentes qui nous contraignent à prévoir ou modifier notre organisation. Mais l’adaptation se fait facilement. Actuellement, nous n’avons plus d’électricité depuis plus d’une semaine... L’électricité étant nécessaire pour l’acheminement de l’eau, nous n’avons donc plus d’eau également ! J’apprends donc à puiser l’eau au puits, le puits n’est pas loin et permet donc de réduire le port de charges lourdes au bout des bras ! Car entre l’eau nécessaire pour s’hydrater, cuisiner, se laver, aller aux toilettes, permettre la vaisselle, les lessives et le ménage, inutile de vous dire que les allers retours jusqu’au puits sont nombreux et fréquents !  J’avoue que je n’ai pas encore trouvé la tactique pour arriver à marcher en mettant la bassine d’eau sur ma tête ! Mais peut être que cela viendra... Je risque de continuer à vivre à l’africaine sans électricité et eau courante pendant encore un bon bout de temps car à l’instant le compteur vient de prendre feu ! !

 

Ici, vous vous doutez bien que l’on se déplace pratiquement tout le temps à pied mais quand il faut traverser le village tout de même étendu ou se rendre à la capitale, c’est alors l’aventure... Puisque les routes ne sont pas bitumées... La pluie et le revêtement (simple terre rouge) provoquent de nombreux nids de poule... Mieux vaut avoir de bons pneus et inutile de vous dire qu’à bord, nous sommes bien secoués ! Quant à la circulation, c’est la loi de la jungle ! ! ! Le manque d’éclairage et l’absence de règles de conduite provoquent de nombreux accidents... La ceinture de sécurité sert juste à décorer la voiture mais n’a pas d’utilité. Il n’est donc pas rare de recevoir à l’hôpital des enfants ayant des plaies ou traumatismes consécutifs à des AVP. Malheureusement, même si la vitesse est plutôt réduite, cela n’empêche pas que les routes soient meurtrières...

 

Chloé, une autre volontaire DCC m’a rejoint. Elle a fait des études de sciences politiques et est chargée de la gestion administrative et financière de l’hôpital. Cela est donc plus facile pour nous de sortir... Là encore, nous devons nous montrer très prudentes... Il y a des bandits sur les routes, les réseaux de prostitutions et de drogue sont présents, et il y a des enlèvements  dans le pays notamment avec Boko Haram. Enfin et surtout... nous sommes blanches ! ! ! Nos premières sorties dans le village se sont néanmoins bien passées, nous avons savouré nos premières bières camerounaises... Ici, elles font 50cl ! ! !


En Afrique, j’ai déjà appris une chose très importante... C’est la Patience ! La représentation du temps est très différente de celle de nos sociétés occidentales. La ponctualité n’est pas franchement la règle d’or et il faut être prêt à accepter les imprévus... Il y a une phrase qui résume assez bien cette différence culturelle : “Vous avez les montres, nous avons le temps” !

 

Il est vrai que le personnel soignant prend son temps... Parfois, “j’ai envie de les remuer un bon coup” ! LOL. Contrairement à nos services de réanimation, où l’on court souvent et où les heures défilent à toute allure, cela me change énormément. Mais rassurez-vous tout de même, quand urgence il y a, l’action et l’agitation sont là... J’ai pu vivre cela lors de la prise en charge d’un choc hypovolémique...

 

Le soin est très différent ici.

 

La douleur et la souffrance se lisent sur les visages...

 

Ici, il faut souffrir si l’on veut guérir, si l’on veut garder la santé, si l’on veut rester en vie tout simplement... La présence, le sourire, l’écoute, la distraction sont souvent inefficaces...

Nous avons des antalgiques de pallier 1 ou 2, pas de pallier 3... Ceux-ci ne sont malheureusement pas à portée de mains comme en France. Et quand bien même ils le seraient, ils sont trop coûteux pour la majorité des familles africaines. Alors, dans les prescriptions, les médecins se doivent de faire des choix et de prioriser les médicaments essentiels à la guérison du patient. Les antalgiques sont donc souvent éliminés pour les antibiotiques par exemple...

Leur rapport à la douleur est donc supporté et peut être considéré comme normal car ils n’ont pas les moyens de proposer autre chose. Les petits moyens très insuffisants vont à l’essentiel, c’est à dire le soin pour guérir.

L’expression des émotions ne se voit pas ici. Il faut être “fort”, nous n’avons pas le droit d’être faibles... Rare sont les personnes qui pleurent quand elles souffrent.

 

J’apprends donc à supporter la souffrance des enfants, des mamans, des personnes (il y a également un petit service de médecine générale)... Mais cela complique bien les choses quand vous devez poser une voie veineuse chez un enfant qui a peur et qui se débat dans tous les sens...

Il n’est pas rare de me sentir désemparée, impuissante devant des souffrances extrêmes comme des plaies profondes qui atteignent parfois les tendons, les articulations et les os et dont l’élément essentiel de guérison est une détersion bien appuyée et en profondeur sans antalgiques... De faire des pansements de brûlures du 3ème degré, des greffes de peau, des points de suture à vif. De supporter la détresse et les cris de certaines mamans lors de curetage dans le cadre d’avortement sans anesthésie. Cela dépasse parfois ce que je pouvais imaginer et il m’arrive parfois de me demander si certaines souffrances sont humaines à vivre...? !

 

La pauvreté et le manque de moyens sont considérables...

 

Beaucoup de patients n’ont pas les moyens de se soigner, ceci retarde les prises en charge.  

Iici chaque patient paye ses médicaments mais aussi l’ensemble des dispositifs qui lui permette de se soigner... Cela va du médicament très coûteux à la simple paire de gants nécessaire pour poser une voie veineuse... Beaucoup de gens ne peuvent pas se soigner car ils n’ont pas l’argent nécessaire... Alors, il y a un cahier de “dettes” avec ce que les gens nous doivent... La solidarité est très présente ici. Il m’arrive de voir certains médecins payer quelques médicaments coûteux de certains patients... Ils doivent savoir que sans leur aide, le patient ne pourra guérir...  Nous avons la chance d’être dans un hôpital privé (créé par des sœurs catholiques africaines), ce qui signifie que quand bien même il y a urgence et que la personne n’a pas les moyens de subvenir à sa détresse vitale, nous soignons tout de même la personne. Cela va peut être vous sembler évident, mais un infirmier m’a expliqué que dans les hôpitaux publics camerounais, si la personne n’a pas d’argent pour se faire soigner alors elle reste à la porte de l’hôpital même lorsque sa situation est urgente ou vitale... Cela m’a amenée également à me poser la question de la non assistance de personnes en danger et des inégalités face à l’accès aux soins...? !

 

Malgré tout ce que je vous ai décrit, j’attire votre attention sur le fait que je ne voudrais pas vous donner une image trop caricaturale, ni trop négative sur ce que je vis et côtoie au quotidien ici...

Tout simplement, car ils n’ont malheureusement pas le choix de pouvoir faire autrement... Mais aussi parce qu’il y a aussi du positif ! ! !

 

L’échange de nos pratiques de soin est riche.

 

Les médecins ont un sens de l’examen clinique très développé... il faut dire que les examens paracliniques sont rarement réalisables ou possibles et ne permettent pas de confirmer le diagnostic ou d’orienter ce dernier. Les médecins m’apportent aussi des éclaircissements sur certaines pathologies. Nous avons plus de temps, donc c’est plus facile de saisir ces moments d’échanges !

 

J’enrichis donc mon observation clinique, j’approfondis mes connaissances sur les maladies tropicales, je suis plutôt contente et fière quand j’arrive à poser un cathéter ce qui est parfois difficile à cause notamment de leur couleur de peau, j’ai appris à faire des consultations prénatales, à surveiller les femmes enceintes en pré-travail et à remplir le partogramme. Et surtout j’ai aidé pour la 1ère fois une parturiente à accoucher ! ! Un petit garçon  !! Grand moment de bonheur pour tout le monde...

A l’heure où je m’apprête à vous envoyer ce mail, mon 2ème accouchement fut très long et difficile engendrant la naissance d’une petite fille morte née. Je me suis sentie impuissante et désemparée devant la maternité en Afrique. Comment voulez-vous aider la maman a faire naitre son petit bébé en grande souffrance dont la tête est engagée mais reste bloquée sans avoir les moyens nécessaires pour faire une césarienne ou tout simplement des forceps ou ventouses?! Je vous laisse imaginer ou pas ce que j’ai pu vivre et comment nous avons dû agir pour permettre l’expulsion du bébé...

Le bloc obstétrical doit ouvrir très prochainement (1-2 mois) mais depuis l’ouverture de l’hôpital en février, les choses ont été retardées notamment par manque d’argent... Les choses évoluent tout de même et cette semaine nous avons reçus des lampes de photothérapie pour l’ictère néonatal (jaunisse)...

 

Le personnel est très ouvert, à l’écoute et a une conscience professionnelle loin d’être négligée.

Même avec le peu de moyens, j’ai trouvé un personnel attentif à la qualité des soins. L’hygiène et l’asepsie sont prises en compte même si le manque de moyens et la pauvreté ne nous permettent pas d’atteindre notre niveau et notre qualité de soins. Même si je vois la femme de ménage passait régulièrement le balai ou la serpillère, le sol reste très sale pour un hôpital, tout simplement car les gens de passage ramènent beaucoup de poussière et de terre de l’extérieur... L’équipement est très rudimentaire. L’humidité attire les petites bêtes malgré parfois des moyens efficaces pour tenter de les repousser. Le personnel est sensibilisé au lavage des mains et connait la procédure hospitalière mais il n’est pas rare de ne plus trouver de savon dans les chambres des patients, ceux-ci disparaissent rapidement dès que l’on en remet, tout simplement car les gens n’ont parfois pas suffisamment d’argent pour subvenir à leurs besoins primaires. Ceci soulève un véritable problème. Le personnel a conscience des risques d’exposition au sang et se protège au maximum notamment avec le port de gants. Mais, là encore il n’est pas rare de ne pas en utiliser ou de piquer plusieurs fois le patient avec le même cathéter (qui est le sien... je vous rassure), ceci quand la personne ne peut acheter plusieurs paires de gants ou plusieurs cathéters.

Contrairement à ce que l’on m’avait dit, les transmissions sont bien présentes. Elles sont orales deux fois par jour (à chaque changement de poste, à chaque “ronde” médecins-infirmières du matin et du soir) mais aussi écrites. Le dossier de soins existe et la traçabilité des actes, des soins est retrouvée. Il figure même une feuille de transmissions ciblées ! ! !

 

La population africaine est très humaine et chaleureuse

 

Même dans la plus grande misère et la plus grande souffrance, le sourire et l’accueil sont présents. Je commence à me rendre compte du peu de chaleur que je peux leur apporter lors d’un soin et réciproquement. Cela m’apporte du réconfort dans les situations plus difficiles à supporter. Ils ont une force incroyable. La dernière fois, une grande fille âgée de 13 ans m’a cherchée dans l’hôpital pour me dire “au revoir” et me remercier. Je lui ai alors demandé si elle n’avait pas gardé un trop mauvais souvenir de moi et des soins douloureux que j’avais dû lui faire, elle m’a sourit... Son attention m’a touchée.

 

Je ne suis pas très forte en insectes,  je me suis donc rendue compte que mes amis les mille-pattes étaient en fait des cafards... Au risque d’en choquer plus d’un d’entre vous, avec Chloé, nous avons donc commencer "l’extermination de cette espèce” en calfeutrant nos portes, en utilisant des bombes repoussantes ou encore en nous lançant un petit défi sur celle d’entre nous qui en tuera le plus...! ! ! C’est plutôt efficace même si certains se montrent rebelles....

 

Voilà, pour finir encore avec ce petit clin d’œil...
 
Je vous espère tous et toutes en pleine forme.

 

Au plaisir d’avoir quelques unes de vos nouvelles par mail

 

Je vous embrasse et vous dis à bientôt pour la suite de cette surprenante aventure.

 

Claire

 

Pour écrire à Claire Lefranc :

lefranclaire@gmail.com


 

Article publié par MICHEL LAISNE • Publié le Vendredi 10 octobre 2014 • 2051 visites

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