Chère Famille,
Chers Amis,
Il semble que le Cameroun a encore du chemin à faire en ce qui concerne un des huit OMD (Objectifs du Millénaire pour le Développement) fixés par la communauté internationale à savoir: « Réduire de trois quarts, entre 1990 et 2015, le taux de mortalité maternelle ». Car, à ma grande surprise, j’ai appris que le taux de mortalité maternelle est passé de 430 décès pour 100.000 naissances vivantes en 1998 à 782 décès pour 100.000 naissances vivantes en 2011.
Il en est de même concernant les efforts face à la mortalité infantile ou d’autres fléaux puisqu’un enfant décède encore du paludisme toutes les 60 secondes, que la prévalence du VIH reste de 4,3% et que la poliomyélite est en grande recrudescence dans le pays. (données de l'OMS)
Face à la grande pauvreté et la misère humaine, aux prise en charge souvent tardives, au manque de moyens considérables pour soigner dignement ou dans de bonnes conditions, aux difficultés majeures pour soulager des souffrances parfois extrêmes, je me suis longtemps demandée quel réel sens je souhaitais donner à ma mission et comment je pouvais réellement me sentir utile au quotidien malgré une façon de soigner si différente ...
Après mes “premières impressions” partagées, est donc venu le temps du questionnement, de la remise en question et de la quête de sens à ma mission.
Car, même si effectivement, pour tout patient, être reconnu dans sa souffrance quelle qu’elle soit (physique, psychique, financière) et être en présence d'une personne qui nous écoute, soulage; il est vrai que cela est loin d’être suffisant, et je me suis bien souvent sentie en difficultés (impuissante, démunie ou désemparée) lorsque je n’ai pu agir ou aider l'autre à la hauteur de ce que j’aurais tant souhaiter...
C’est finalement en observant, en prodiguant des soins, en étant contrainte à agir avec peu de moyens ou sans autres possibilités thérapeutiques, que j’ai heurté ma sensibilité à des soins considérés à mes yeux parfois comme inacceptables ou qui manquaient d’humanité et de dignité. J’ai pu ainsi poser ou reposer mes réelles limites de soignant et redécouvrir finalement les valeurs auxquelles je tenais vraiment...
La découverte de la différence est une vraie richesse, mais il m’a fallu apprendre aussi à vivre toutes ces pratiques professionnelles si différentes dans l'acceptation et dans la confiance. Ce ne fut pas toujours évident au début d’arriver à accepter ces nouvelles choses, mais j’ai essayé de vivre ses contradictions avec beaucoup d'humilité de cœur... Avec le temps, je me rends compte que je parviens petit à petit à faire coïncider mes connaissances et parfois quelques pratiques européennes avec les contraintes du terrain. Cela commence donc à porter ses fruits et m’aide beaucoup à apporter un peu de soulagement aux patients..
J’ai parfois douté du peu de réconfort que j’essayais d’apporter à certains malades mais aujourd’hui j’ai retrouvé la conviction que chaque sourire, chaque écoute, chaque présence est précieuse... Je garde en tous cas l’espérance que ma bienveillance, ma compassion, mon soutien et mon attention les rejoint.
Aussi, j’essaye de savourer chaque instant de bonheur comme ceux que m’apportent un moment de solidarité et d’entraide, une naissance, une guérison, la richesse d’un échange sur nos pratiques de soin, ou tout simplement une rencontre.
Il est de plus en plus agréable de se promener dans le village et d’avoir des gens qui spontanément m’interpellent par mon prénom ou viennent vers moi. Sur l’instant, j’éprouve des difficultés à les reconnaitre (c’est si facile pour eux....étant quasiment la seule blanche); mais quand ils me rappellent les circonstances d’une guérison ou d’un accompagnement vers la mort dans des conditions paisibles et sans souffrance, je me remémore alors de suite ces bons moments passés à l’hôpital où après coup je réalise que je me suis sentie si utile et que ma présence et mon aide avaient du sens. C’est alors encourageant de recevoir une poignée de main, un sourire, un regard intense... Bref, une forme de remerciement, un petit moment de bonheur comme ceux que nous pouvons avoir en France dans nos services lorsque des parents nous rendent visite après l’hospitalisation de leur nouveau né/enfant, ou encore après quelques gourmandises ou marques de reconnaissance et de considération affichées par exemple en salle de détente...
J’ai donc trouvé le réel sens dans ma mission en exerçant ma passion, celle tout simplement de continuer à soigner dans la mesure du réalisable ou du possible, en prenant réellement conscience que la culture était vraiment différente de la mienne, en revoyant mes priorités, et en ayant des objectifs très simples et très humbles...
Les regards des patients, les échanges constructifs avec les collègues camerounais(e)s, les encouragements des médecins, la reconnaissance du directeur de l’hôpital font que je me sens confortée dans les décisions et projets que j’entreprends, dans l’aide solidaire que je leur apporte.
Par le suivi des parturientes lors des consultations prénatales, par les conseils aux femmes concernant l’allaitement, par les campagnes de vaccination et la sensibilisation à l’importance de celle-ci, par le regard clinique porté lors de l’accueil ou de l’hospitalisation de chaque malade, par l’aide précieuse apportée lors d’une situation d’urgence ou à caractère réanimatoire, par les conseils alimentaires aux mamans ayant des enfants malnutris, par la formation informelle du personnel lors d’échanges sur des pratiques de soin, je me suis également rendue compte que j’agissais pour quelques personnes en terme de santé communautaire et plus largement pour la santé publique du continent africain. Vu de cet œil, c’est déjà beaucoup... ;-)
En échangeant avec mes collègues concernant les pratiques de soin, la surveillance infirmière qui en découle, je me rends compte que ce qui semble évident pour moi ne l’est pas forcément pour eux. Je réalise alors que je leur suis utile et nécessaire en partageant mes connaissances et que mes conseils , parfois si simples concernant les pratiques de soin, sont précieux et gages de progrès et d’amélioration.
Bref, vous l’aurez compris, j’ai pu trouver ma place ici et me sens pleinement épanouie dans cette mission. Avant mon départ, il m’était difficile d’imaginer travailler dans des conditions aussi décalées mais une chose est sûre, il régnait une telle envie et une telle volonté d'aller aider les autres et les plus démunis. Depuis mon arrivée: ce désir n’a pas changé et il a même grandi ! ;-)
Sans vouloir changer le monde, ni implanter ici une culture ou une façon de soigner différente de la mienne, j'ai réalisé et me suis rappelée que j'avais tout simplement beaucoup de choses à apporter ici tant par mon expérience professionnelle et mes connaissances que par ma sensibilité et mon attention aux autres. C'est riche et c'est un grand challenge à relever qui a donc débuté !
Je finirai en vous disant que depuis l'ouverture de l'hôpital en février, à chaque fin de mois, il y a une grande réunion avec le directeur de l’hôpital (médecin très compétent et réputé, chef aussi du service des urgences obstétriques et gynécologiques à Yaoundé). Ensemble nous avons pour habitude de dresser un bilan du mois avec nos “forces”, nos “faiblesses” et nos “perspectives”. Selon les mois, la réunion peut être agréable, encourageante, boostante ou prendre des allures plus dures et sombres. Mais l’essentiel est qu’à chaque fois, il finit en nous rappelant que nous sommes tous ici en ayant la même ”volonté” et le même “engagement ”: celui d’être ici pour construire un “hôpital de référence” avec la spécialité mère-enfant et que dans quelque temps, comme il dit: ”ça explose!” Il aime rappeler qu'il vise comme tous les hôpitaux: "l'excellence"...
Je continue de vivre de grands moments de complicité avec Chloé !
Je peux lui partager mon vécu parfois difficile à l’hôpital, elle est toujours là pour m’écouter et me redonner le sourire !
Nous apprécions les moments de détente ensemble. Nous aimons nous raconter nos petites vies respectives autour d’un petit verre dans un bar, ce qui nous donne aussi l'occasion de penser à tous ceux que nous avons dû quitter pour vivre cette merveilleuse aventure africaine !
Enfin, elle m’épate tout simplement avec sa culture générale sur l’Afrique, j’ai toujours le droit à une petite leçon d’histoire ou de politique à volonté comme par exemple, si je la branche sur le génocide rwandais ou sur son expérience dans les camps de réfugiés au Burundi...!
La saison sèche commence à arriver... Les températures montent au thermomètre tout doucement ! Que la chaleur camerounaise parvienne donc jusqu’à vous à l’approche de l’hiver !
Merci encore pour toutes vos attentions qui de près ou de loin me donnent chaud au cœur !
Je pense bien à chacun de vous... Vous me manquez déjà !
Affectueusement
Claire
Pour écrire à Claire Lefranc :