Perdu dans un pays lointain

Sr Mary Helen Jackson, prieure générale des Bernardines, Lille

Maison St Benoit, Douai, jeudi 4 mars 2010.

Que fait-on dans un monastère ? Un Père du désert répondait : « on tombe et on se relève, on tombe et on se relève. » Je crois que cet apophtegme décrit très bien notre chemin spirituel dans la vie, et témoigne de l’immense miséricorde de Dieu pour tous les hommes. En effet, chacun de nous est pécheur, et un élément important de la vraie vie spirituelle est ce cycle constant du péché, le repentir, le pardon, le recommencement. On peut résumer ce processus dans le mot ‘conversion’ ou ‘metanoia’.

Je voudrais creuser cette idée à partir de deux textes : l’évangile du fils prodigue, Luc Ch 15 : 11-32, qui est sûrement bien connu de vous tous ; il nous donne l’exemple par excellence du repentir et du pardon. Et le psaume 106, un psaume qui est peut-être moins connu pour vous, nous présente le contraste entre les genres variés de nos égarements et l’action de Dieu, qui, immuable, fait toujours ce qui est selon sa nature : la bonté, le bien, la miséricorde.

Je commence avec le Psaume 106, un de mes Psaumes favoris. Je vous donne le texte parce qu’il sera plus facile pour vous de suivre ma présentation. On va trouver des points de correspondance entre ce Psaume et une parabole de St Bernard que nous allons évoquer plus tard. Il faut d’abord mettre ce psaume dans son contexte. Si on prenait un ouvrage savant sur les Psaumes, il est probable qu’on trouverait Psaume 106 classé comme un Psaume historique, chanté en action de grâce par les juifs après leur retour d’exil de Babylone. Ils louent le Seigneur pour son amour sauveur, source également inépuisable de salut comme ils viennent de l’expérimenter après beaucoup d’autres malheurs. Après l’invitatoire, le psalmiste évoque par un refrain l’empressement de Dieu à sauver ses fidèles en détresse, qu’ils soient égarés dans le désert, enfermés en prison et dans les fers, épuisés par la maladie ou perdus sur une mer déchaînée.
La tradition ancienne de l’Eglise nous enseigne qu’on peut distinguer deux sens de l’Écriture : le sens littéral et le sens spirituel, ce dernier étant subdivisé en sens allégorique, moral et anagogique. La concordance profonde des quatre sens assure toute sa richesse à la lecture vivante de l’Écriture dans l’Église.
Je viens de parler du sens littéral/historique, mais aujourd’hui je voudrais orienter notre attention plutôt vers le sens spirituel, dont le Catéchisme de l’Eglise écrit : Grâce à l’unité du dessein de Dieu, non seulement le texte de l’Écriture, mais aussi les réalités et les événements dont il parle peuvent être des signes. Un distique médiéval résume la signification des quatre sens : « Le sens littéral enseigne les événements, l’allégorie ce qu’il faut croire, le sens moral ce qu’il faut faire, l’anagogie vers quoi il faut tendre » (Augustin de Dace, Rotulus pugillaris, I : ed. A. Walz, Angelicum 6 [1929] 256). Il est possible de donner un sens tout à fait chrétien aux écritures de l’ancien testament, et d’en puiser des points de repère pour notre vie spirituelle. Par exemple, la traversée de la Mer Rouge est un signe de la victoire du Christ, et ainsi du Baptême.
Revenons au Psaume 106, et considérons ce qu’il nous dit au sujet de notre cheminement spirituel, surtout par rapport au repentir et au pardon. Une vue d’ensemble nous montre une structure bien définie. Le psaume raconte des difficultés d’un peuple en pèlerinage ; à chaque étape, les pèlerins n’ont qu’une issue à leurs difficultés – ils doivent se tourner vers le Seigneur et lui manifester leur besoin d’une intervention divine. « dans leur angoisse ils ont crié vers le Seigneur, et lui les a tirés de la détresse. » C’est pareil pour nous ; le Seigneur nous laisse prendre l’initiative, parce que Dieu nous laisse toujours notre liberté ; il ne s’impose pas. L’orgueil humain veut dire que nous avons souvent du mal à accepter l’aide des autres. Nous voudrions nous en sortir de nos difficultés par nous mêmes. Une leçon fondamentale de la vie spirituelle c’est que, sans le Seigneur, nous ne pouvons rien faire. « Moi, je suis la vigne, et vous, les sarments. Celui qui demeure en moi et en qui je demeure, celui-là donne beaucoup de fruit, car, en dehors de moi, vous ne pouvez rien faire. » (Jn 15 :5) Demander de l’aide signifie une acceptation de notre part qu’il y a un problème. Dans le cas du péché, il faut que nous reconnaissions que nous sommes des pécheurs ; que nous avons déformé l’image de Dieu en nous, et que nous avons perdu notre ressemblance à lui. Comme l’alcoolique doit admettre sa dépendance, nous aussi, nous devons reconnaître que nous nous sommes égarés loin de Dieu. Dans un discours, Isaac le Syrien, un moine de l’orient qui vivait au septième siècle, a écrit : « Bienheureux l’homme qui connaît sa propre faiblesse. » Il continue : « Celui qui connaît ses péchés est plus grand que celui qui ressuscite les morts par sa prière. Celui qui pleure une heure sur son âme est plus grand que celui qui est au service du monde entier. »
L’aveu de notre culpabilité fait partie de notre acte de repentir mais il doit être accompagné par une conversion intérieure, dans l’esprit du Psaume 50 : « Le sacrifice qui plaît à Dieu, c'est un esprit brisé ; tu ne repousses pas, ô mon Dieu, un cœur brisé et broyé. » Cette conversion intérieure, qui est le travail de l’Esprit Saint, ne peut pas avoir lieu sans une croyance forte en la miséricorde et au pardon de Dieu, le Dieu qui se révèle par un excès d’amour, le Dieu qui est ‘lent à la colère et riche en tendresse.’ ‘Se confesser,’ dans le contexte du sacrement de réconciliation, est une expression à double sens ; oui – nous confessons nos péchés, mais si nous faisons cela, c’est d’abord parce que nous confessons notre confiance dans l’amour, le pardon et la miséricorde de Dieu. Je suis souvent frappée qu’une fois le sacrement de réconciliation est terminé, le prêtre invite le pénitent à l’action de grâce avec une citation du Psaume 106 « Rendez grâce au Seigneur : Il est bon ! Eternel est son amour. » (Pour être juste, il faut reconnaître que ce refrain se trouve dans plusieurs autres psaumes, surtout Ps 135, Ps 105 et d’autres, sans doute.) Mais l’intention est claire ; l’amour et la miséricorde de Dieu surpassent toujours le péché humain. Il n’y a rien qui est au-delà de la miséricorde de Dieu. Le deuxième refrain du Psaume 106 – « Qu'ils rendent grâce au Seigneur de son amour, de ses merveilles pour les hommes » saisit cet esprit d’action de grâce. Comme le moine qui tombe, nous nous relevons, reconnaissants, à la fois découragés par notre tendance continuelle à pécher, mais encouragés par la possibilité de recommencer de nouveau.
L’église est une église en pèlerinage ; nous devons encore passer à travers le désert ; jusqu’à un certain point, malgré la rédemption du Christ, nous sommes encore liés par les fers du péché, et nous devons encore traverser les tempêtes de la vie. Nous passons à travers tout ceci, confiant en la protection de Dieu. Le Christ est venu pour nous racheter mais nous devons encore faire la traversée vers lui.

Examinons certains versets de Psaume 106 :
Vs 4/5
4.« Certains erraient dans le désert sur des chemins perdus,
sans trouver de ville où s'établir :
5. ils souffraient la faim et la soif,
ils sentaient leur âme défaillir. »

Des chemins perdus du désert nous font penser au fils prodigue, celui qui est parti pour un pays lointain, qui a souffert d’une grande famine. Je vais revenir à cette idée dans la deuxième moitié de ma conférence. Comme le fils prodigue, il y a des moments où nous errons dans le désert ; les tentations de notre société de consommation, le relativisme moral et les aspirations à la puissance humaine occultent le vrai chemin qui est le Seigneur, le Chemin, la Vérité et la Vie (Jn 14 :6). Nous pensons aussi avec ce verset à Jésus qui a ravitaillé surabondamment, par un miracle de bonté, la foule affamée qui Le suivait. Dans un prodige d’amour plus étonnant encore, il ravitaille la foule humaine, immense troupeau, spirituellement affamé et errant dans le désert spirituel du monde ; il lui offre le pain vivifiant et inépuisable de sa Personne, que la foi et l’Eucharistie leur permettent d’assimiler. Il rassasie pleinement l’âme avide, car qui mange de son pain n’aura plus jamais faim (Jn 6 : 4)
En effet, le Psaume 106 est un psaume de l’âme. Nous venons de lire ‘ils sentaient leur âme défaillir.’ C’est à travers ce psaume que nous voyons la relation de l’âme humaine avec son Dieu créateur. On pense au Psaume 62 : ‘Mon âme à soif de toi’, au Psaume 41 : ‘ainsi qu’un cerf altéré cherche l’eau vive, ainsi mon âme te cherche, toi, mon Dieu.’ Cinq fois en notre psaume 106, l’âme malade se tourne vers le Seigneur dans sa faiblesse et accueille la tendresse et le pardon de Dieu.
10. Certains gisaient dans les ténèbres mortelles,
captifs de la misère et des fers :
11. ils avaient bravé les ordres de Dieu
et méprisé les desseins du Très-Haut.
Le psaume nous offre maintenant deux autres images de la misère humaine – les ténèbres et la captivité. Comme les aveugles, nous ne reconnaissons pas la présence de Dieu, et il faut qu’Il ouvre nos yeux à la lumière. Nombreuses sont les allusions bibliques à la lumière et aux ténèbres. Pensons à l’évangile de St Jean : « quand la lumière est venue dans le monde, les hommes ont préféré les ténèbres à la lumière, parce que leurs œuvres étaient mauvaises. 20 En effet, tout homme qui fait le mal déteste la lumière : il ne vient pas à la lumière, de peur que ses œuvres ne lui soient reprochées ; 21 mais celui qui agit selon la vérité vient à la lumière, afin que ses œuvres soient reconnues comme des œuvres de Dieu. » Jn 3 19-21 … ; ‘je suis la lumière du monde.’
Le Christ nous rachète de nos prisons et de nos carcans ; images métaphoriques pour toutes les entraves spirituelles qui nous accablent. Dans le livre des Actes des Apôtres, on voit plusieurs occasions où de jeunes chrétiens sont délivrés de la prison, mais il y a aussi la prison de notre culpabilité, de notre remords. Se repentir et confesser nos fautes nous aide à nous débarrasser de ces fers. J’ai lu une histoire d’un américain, un chrétien évangélique, qui s’est présenté un jour à son pasteur. Il lui a dit, ‘Je pense que je vais ruiner votre journée, mais je voudrais me confesser, et après, j’irai me confesser aux autorités.’ En effet, il y a 20 ans, à l’âge de 14 ans, le gars a abattu deux personnes. Le coupable du crime n’a jamais été trouvé. Le monsieur s’est réformé, il est devenu Chrétien, il s’est marié, et a eu des enfants ; en bref il est devenu un citoyen modèle. Mais avec bonne raison, il était torturé d’un sens de culpabilité. Il s’est livré aux autorités et a été trouvé coupable d’homicide volontaire. Au moment où il a été mis en prison, il a prononcé, ‘Je suis plus libre maintenant que je ne l’ai été depuis vingt ans. Maintenant, je peux trouver la vraie paix.’ Il avait expérimenté le vrai pardon de Dieu, et avait découvert le vrai sens du psaume 31, un des psaumes pénitentiels, ‘Heureux l’homme dont la faute est enlevée et le péché remis. »

Les versets 17 à 20 du Psaume continuent à nous exposer l’effet débilitant du péché dans nos vies, et de nouveau, le peuple crie vers le Seigneur. Considérons sa réponse : ‘Il envoie sa parole.’

17. Certains, égarés par leur péché,
ployaient sous le poids de leurs fautes :
18. ils avaient toute nourriture en dégoût,
ils touchaient aux portes de la mort.

19. Dans leur angoisse, ils ont crié vers le Seigneur,
et lui les a tirés de la détresse :
20. il envoie sa parole, il les guérit,
il arrache leur vie à la fosse.
Cela me fait penser aux Actes des Apôtres : ‘Il a envoyé la Parole aux fils d'Israël, pour leur annoncer la paix par Jésus Christ : c'est lui, Jésus, qui est le Seigneur de tous.’ (Actes 10 :36). Dieu nous envoie son Fils, le Verbe fait chair, qui accepte d’assumer la condition d’un esclave pour nous racheter. Pendant son ministère d’évangélisation, les nombreuses guérisons miraculeuses accordées par Jésus signalent sa bonté compatissante en même temps qu’elles figurent les guérisons spirituelles, plus merveilleuses encore que son amour sauveur réalise en pardonnant aux pécheurs. Du paralytique, guéri puis converti par lui, il déclare qu’il l’a guéri tout entier. (Jn 7 23).
Mais Dieu nous envoie aussi sa parole dans l’Ecriture sainte. Ceux et celles qui méditent l’Ecriture Sainte chaque jour, entrent directement en contact avec la parole de Dieu. Le Saint Esprit nous rend aptes à accueillir en vérité cette parole qui nourrit notre âme chaque jour et nous ouvre à la guérison spirituelle. La parole de Dieu nous interpelle, nous réconforte, nous encourage ; c’est une parole percutante, une parole qui est source de pardon. La parole agit dans nos vies, et engendre en nous un esprit de componction qui nous aide dans notre chemin de conversion et de repentir. La parole nous aide à accueillir le pardon de Dieu et de l’homme, et à accorder le pardon nous-mêmes.

Arrivons maintenant aux versets 23 à 30 de notre Psaume :
23. Certains, embarqués sur des navires,
occupés à leur travail en haute mer,
24. ont vu les œuvres du Seigneur
et ses merveilles parmi les océans.

25. Il parle, et provoque la tempête,
un vent qui soulève les vagues :
26. portés jusqu'au ciel, retombant aux abîmes,
ils étaient malades à rendre l'âme ;
27. ils tournoyaient, titubaient comme des ivrognes :
leur sagesse était engloutie.

28. Dans leur angoisse, ils ont crié vers le Seigneur,
et lui les a tirés de la détresse,
29. réduisant la tempête au silence,
faisant taire les vagues.
30. Ils se réjouissent de les voir s'apaiser,
d'être conduits au port qu'ils désiraient
Dans les sociétés anciennes, (et encore aujourd’hui) la mer était un lieu de danger et les images de tempête, de naufrage étaient bien comprises. Je me rappelle en 1994, à l’occasion du cinquantième anniversaire des débarquements en Normandie le 6 juin 1944, on a utilisé cet extrait Du psaume 106, accompagné par les images de la flottille des alliés - c’était une liturgie très puissante. Mais nous pouvons aussi prendre cette image au niveau spirituel ; nous traversons les tempêtes de la vie quotidienne. Sur le lac de Tibériade, Jésus apaise d’un mot le vent et les flots qui menacent d’engloutir la barque et ses occupants. (Mc 4 35-41) : c’est l’image de la pacification qu’il opère dans les âmes en leur donnant sa propre paix comme remède tout-puissant à leurs troubles intérieurs. Quand nous tournoyons et titubons parmi les tentations de ce monde, le Seigneur nous invite au repentir et nous conduit vers la terre ferme.

Je termine ma réflexion sur le Psaume 106 en citant le verset 40 :
il les égare dans un chaos sans chemin.
Ceci rejoint le verset 4 :
Certains erraient dans le désert sur des chemins perdus
Ces deux versets me reconduisent au Fils Prodigue. Je vous relis la première partie :
« Un homme avait deux fils. Le plus jeune dit à son père : 'Père, donne-moi la part d'héritage qui me revient.' Et le père fit le partage de ses biens. Peu de jours après, le plus jeune rassembla tout ce qu'il avait, et partit pour un pays lointain où il gaspilla sa fortune en menant une vie de désordre. Quand il eut tout dépensé, une grande famine survint dans cette région, et il commença à se trouver dans la misère. » Luc 15 : 11-14
Le fils est allé dans un pays lointain – il ‘s’est égaré dans un chaos sans chemin. En latin on trouve l’expression ‘regio longinqua’. Les Pères de l’église ont reconnu en ceci un parallèle avec la notion de la ‘regio dissimilitudinis’ ou ‘région de dissemblance,’ exprimée dans le Politique de Platon. Platon utilise cette expression pour décrire un lieu de chaos dans lequel l’univers risque de couler à cause de sa distance des divinités ; en voyant ceci, Dieu, le créateur de l’ordre cosmologique agit pour restaurer cet ordre. Il en est de même pour nous. Nous nous égarons dans la région de dissemblance par notre péché et nous avons besoin d’un Dieu rédempteur pour nous racheter.

Saint Augustin avait tiré cette expression de la philosophie platonicienne pour caractériser l'état de son âme avant sa conversion (cf. Confessions, VII, 10.16) : l'homme qui est créé à l'image de Dieu tombe, en conséquence de son abandon de Dieu, dans la 'région de la dissimilitude', dans un éloignement de Dieu où il ne Le reflète plus et où il devient ainsi non seulement dissemblable à Dieu, mais aussi à sa véritable nature d'homme. Je cite :
"Tu as frappé sans cesse la faiblesse de mon regard par la violence de tes rayons sur moi, et j'ai tremblé d'amour et d'horreur. Et j'ai découvert que j'étais loin de toi, dans la région de la dissemblance " Saint-Augustin
Plusieurs auteurs médiévaux continuent à développer l’idée de la région de la dissemblance, notamment St Bernard. L’homme est crée à l’image de Dieu ; il est capable de se conformer au plan divin, mais il n’est pas l’image de Dieu ; seul le Verbe incarné est l’image de Dieu. L’homme est fait dans la ressemblance de Dieu ; mais par son péché, caractérisé par la chute d’Adam, il ternit la ressemblance et entre dans la région de la dissemblance.
Nous avons un hymne que nous chantons pour la fête du Baptême du Seigneur qui exprime bien cette idée :
Adam s’éloigne, il a quitté les rives du pays d’Eden.
Il n’entend plus la voix qui l’appelait dans le jardin.
Penché sur les eaux sombres, les yeux ouverts,
Il ne voit plus l’image.
La ressemblance à Dieu peut être en partie restaurée, grâce à l’action du Christ – au Paradis la restauration sera complète. Mais nous avons notre rôle à jouer. Pour retrouver notre ressemblance nous devons nous repentir et retourner au Père. Le jeune homme dans l’histoire du fils prodigue est rentré en lui-même ; nous aussi, devons rentrer en nous-mêmes (Luc 15 :17). La traduction de ce verset utilisé dans la liturgie est moins percutante : simplement ‘il réfléchit’ …. mais l’idée de rentrer en nous-mêmes et de retrouver la vérité est beaucoup plus parlante. Le jeune homme a dû arriver au plus bas avant de remonter la pente ; un juif qui gardait les porcs ! Il n’y a rien de pire que ça pour un juif! La motivation pour son repentir n’est pas la motivation la plus pure – dans un premier temps il est motivé par sa faim plutôt que par le vrai désir de se tourner vers Dieu. Il cherche une issue à sa situation douloureuse. Il y a une leçon pour nous ici – il ne faut pas attendre la perfection avant de se repentir ; nous nous tournons vers le Seigneur tels que nous sommes, avec tous nos péchés et notre image déformée. Le fils prodigue croyait qu’il était impossible pour lui de restaurer la ressemblance qu’il avait perdue mais l’accueil de son Père nous montre la miséricorde immense qu’offre le Seigneur. Une expression que je trouve très utile quand j’ai tendance à organiser mon propre salut : Il n’y a rien que je puisse faire pour que le Seigneur m’aime davantage …. mais il n’y a rien non plus que je puisse faire pour que le Seigneur m’aime moins. Nous ne sommes jamais au-delà de la rédemption. Pour le repentir il faut que nous ne fassions que la première démarche – le Père nous verra de loin et se hâtera à nous rencontrer et à nous pardonner. Quelle grâce et quelle chance !

St Bernard, moine cistercien du 12ième siècle, a écrit quelques paraboles y compris ‘Le retour du fils du Roi’ qui nous représente l’évangile du fils prodigue selon une autre optique ; relaxez-vous et écoutez le début de cette histoire :

Il était une fois un Roi riche et puissant, le Dieu tout-puissant. Il adopta pour fils l’homme qu’il avait créé. Il lui délégua, comme à un enfant fragile, des pédagogues: la Loi et les Prophètes, ainsi que d’autres guides et tuteurs, jusqu’au temps fixé de sa maturité.

1.2 Après avoir reçu faculté du bien et du mal, l’homme se mit à s’ennuyer de faire le bien, travaillé qu’il était par la convoitise de connaître bien et mal. Il sortit donc du paradis de la bonne conscience, en quête de nouveautés encore inconnues, lui qui jusque-là ne connaissait que le bien. Délaissant les lois et les pédagogues de son père, il mangea de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, bravant l’interdit de son père. Dans sa misère il se cacha pour échapper au regard du Seigneur. Et le fol enfant de commencer une errance vagabonde par les monts de l’arrogance, les vallées de la curiosité, les prés de la licence, les bois de la luxure, les marais des voluptés charnelles, les flots des soucis du monde.

À la vue de l’enfant s’amusant sans garde ni guide loin de la maison paternelle, l’antique brigand s’approche et, de la main d’une mauvaise suggestion, lui tend le fameux fruit de la désobéissance. À peine lui a-t-il arraché son consentement, qu’il agresse le malheureux, le jette par terre dans les désirs terrestres et, pour l’empêcher de se relever, saisit les liens solides de la convoitise du monde pour lui ligoter les pieds – c’est-à-dire les mouvements de l’affectivité – les mains de l’action et les yeux de l’esprit. Il l’embarque sur le navire d’une sécurité fallacieuse et, sous le souffle du vent violent de la flatterie, l’emporte en la lointaine région de la dissemblance. Arrivé en une terre étrangère, l’homme se vend à tous ceux qui passent sur le chemin. Il apprend à paître les porcs et à manger les gousses des pourceaux; il désapprend tout ce qu’il savait et apprend ce qu’il ignorait, les travaux d’esclave. Enchaîné dans la prison de la désespérance, là où les impies tournent en rond (Ps 11,9), il est forcé de moudre à la meule de cette ronde impie jusqu’à être moulu de mauvaise conscience. Quelle pitie !
Je suis un peu méchante, parce que je ne vous donne que le début de la parabole. Sur votre photocopie, vous avez la référence web pour tout le récit, et il n’y a pas suffisamment de temps pour explorer la parabole maintenant. Il vaut la peine de la lire, à côté du chapitre 15 de St Luc. J’attire votre attention sur les images qui ressemblent aux images du Psaume 106 – l’errance vagabonde, le navire d’une insécurité fallacieuse, le vent violent, la prison de la désespérance. Heureusement, le dénouement de la parabole imite celui de l’évangile. St Bernard raconte la misère de l’homme, mais c’est la miséricorde de Dieu qui prévaut. Dans la parabole, le Roi invoque l’aide de ses amis, la crainte du Seigneur, Espérance, Force, Tempérance, Prudence, Justice, Sagesse, Prière et Charité pour aider le fils dans son retour. Ces outils de la vie spirituelle nous servent encore et ne sont pas à négliger.

J’imagine que chacun de nous puisse reconnaître le cycle du repentir et du pardon qui fait partie de notre état humain. La parole de Dieu nous aide à réaliser que, d’une façon paradoxale, notre péché, qui nous éloigne de Dieu, nous offre aussi un chemin de retour vers lui. Jésus a accueilli les pécheurs et les exclus avant les vertueux. « Je vous le dis : C'est ainsi qu'il y aura de la joie dans le ciel pour un seul pécheur qui se convertit, plus que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui n'ont pas besoin de conversion. » (Lc 15 : 7) Inspiré par le Saint Esprit, le vrai repentir et le pardon sont accompagnés par la joie, la paix intérieure. Pour cela, nous ne pouvons que dire : « Rendez grâce au Seigneur : Il est bon ! Eternel est son amour. »

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Article publié par MICHEL LAISNE • Publié le Lundi 08 mars 2010 • 2189 visites

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