Le Carême comme attente amoureuse de Dieu

Père Pierre DUTRIEUX de l’Abbaye de Wisques, St Omer

Maison Saint-Benoît, DOUAI, jeudi 11 mars 2010

Quel titre surprenant, inattendu, déroutant ! Et pourtant juste. Car le Carême est réellement l’un des temps forts annuels durant lesquels s’approfondit la réciprocité d’amour qui doit unir l’homme a Dieu, son Créateur. Non pas d’amourette, ce qui est superficiel, a fleur de peau. Mais d’amour, ce qui est terriblement sérieux. Déjà, bien avant Jésus, dans l’antiquité, certains penseurs avaient pressenti le vrai lien unissant Dieu aux hommes. Ainsi le philosophe Aristote (+384 av. J.C.) qui, décrivant Dieu comme le premier moteur immobile, précise qu’il “meut le monde comme objet d’amour.”

L’amour, c’est le don, c’est la vie. En tant que source de toute vie, Dieu ne peut être qu’amour. Dans le Credo, nous chantons Dieu comme étant le Père Tout-Puissant. En clair, cela veut dire “l’amour tout-puissant”. Jean-Paul Sartre a raconte que son incroyance féroce avait pris naissance, dans sa jeunesse, à cause de l’insistance de ses parents à lui dire, “Attention ! Dieu te regarde et te surveille”. Et sa conclusion fut : “si Dieu c’est ca, je n’en veux pas.” Que criaient les jeunes de Mai 68 ? “On en a marre de survivre, on veut vivre.” Ils étouffaient dans le carcan déjà oppressant de la consumation a outrance et sans âme. Mais ce cri n’allait pas assez loin. Car le désir de vivre ne peut pas être uniquement la volonté de dégager la vie de ce qui l’étouffe au ras du sol. Il faut encre vouloir pousser la vie jusqu’a sa plus grande plénitude. Et c’est la que Mai 68 a dérape et sombre dans les dérives que l’on sait.

Pout tout croyant authentique, vivre pleinement signifie “attendre Dieu”. “Mon âme attend le Seigneur” chante le psaume 126 et d’autres a l’unisson. Mais on n’attend pas Dieu avec résignation comme on attend sa feuille d’impôt. On attend Dieu comme un naufrage toujours exposé à voir sa foi se noyer dans les flots agites de la vie. Et surtout, comme un amoureux conscient d’être aimé à la folie par son Dieu. “Tu nous as faits pour Toi, Seigneur, disait saint Augustin, et notre Cœur ne trouve pas de repos tant qu’il ne repose pas en Toi”.

Cependant, les textes sacrés parlent aussi, et souvent, de la crainte de Dieu. Comment donc concilier amour de Dieu et crainte de Dieu ? S’agit-il de la frousse, de la crainte de l’esclave qui triche et craint les représailles de son maître ? Non, bien sûr. Encore que ce genre de crainte peut nous rendre service a l’occasion … quant notre amour dérape. Saint Augustin nous invite à en connaître une autre plus vivifiante : la crainte amoureuse ou crainte chaste. “L’épouse infidèle, dit-il, craint que son époux revienne. L’épouse fidele, en revanche, craint que son époux ne revienne pas”. Voila qui définit bien deux types opposes de vie chrétienne. Ou je traine celle-ci comme un boulet en pesant les enjeux : récompense ou punition. Ou bien j’en fais un appel d’air permanent suscite par l’amour.

Le réalisme du Salut en Jésus-Christ, c’est effectivement du présent permanent, et non du passé, même si les événements du salut (la Passion et la Croix du Christ) appartiennent au passé. Attendre le salut aujourd’hui, en Mars 2010, c’est coller a l’aujourd’hui permanent de Dieu. Ce qu’avaient bien compris les artistes de jadis, au XVème siècle par exemple, lorsqu’ils peignaient les personnages de l’Evangile habillés comme l’étaient les gens du XVème siècle. Une façon très claire de dire que les événements du Salut en Jésus-Christ sont, quant a leur réalité profonde, présents et agissants, a tout moment de l’histoire.

Les croyants ne se rendent donc pas à la Messe pour suivre l’évocation d’un mythe ou la reconstitution symbolique d’un événement du passé. Sans doute, à la Messe, le prêtre parle au, passé lorsque, à la Consécration il dit : «  L veille de sa Passion, Jésus prit le pais… » C’est au passé. Mais il n’y a pas de passé en Dieu. Il est le seul à pouvoir dire absolument «  Je suis ». Il est aussi le seul à vivre un présent qui ne soit pas un futur en train de se changer en imparfait. Il est éternel, donc non soumis à la succession des temps. Il est l’éternel Présent. Les prophéties des l’Ancien Testament signifiaient que ce qui doit être, est dèjà, comme ce qui fut pour nous , demeure en Lui, Dieu, sous une forme incompréhensible pour n ous. A la Messe, on n’assiste donc pas à la répétition de la Cène du Jeudi Saint et à la Passion du Christ reconstituées sur l’autel. Non. A la Messe, on participe à la Cène et à la Passion elles-mêmes telles qu’elles subsistent en Dieu. Cela nous dépasse, mais c’est ainsi. Certes, Jésus na dit : « faîtes cela en mémoire de moi. «  Mais, en réalité, il a dit : «  faîtes cela en mémorial » Or , pour les juifs d’alors, le mémorial n’est pas une simple mémoire dupassé. Il rend réellement présent la réalité profonde , vitale, subsistante, de ce passé historiquement disparu. La Messe du Dimanche est donc bien plus qu’un « coup de chapeau «  à Dieu , par politesse. C’es t accueillir , chaque fois , mon salut essentiel. Manquer la Messe volontairement, c’est se couper de la source du salut.

Ce qui est vrai pour la Messe l’est aussi pour les Temps liturgiques qui jalonnent l’année en déclinant cette réalité de base sous des accords variés. Ils nous font revivre et le souvenir et la réalité salvatrice contenue en chacune de ces périodes. En Carême, par exemple, je redresse ma vie chrétienne plus ou moins tordue par le péché et j’accueille la grâce pascale de Résurrection acquise pour moi par le Christ Jésus , et qui inclut, de ma part, une vraie pénitence comme geste de vérité….Quand on n’a pas peur de croire, quand on a cette vérité bien fixée dans l’esprit qu’en toute circonstance où Dieu est en cause, l’hypothèse de sa générosité absolue est la seule qui soit à retenir ; alors s’élève entre tous les versets de la Bible le répons non écrit d’un amour exclu de sa prop^re création , qui ne trouve pas «  une pierre où reposer sa tête «  et qui, le jour de son Incarnation , sera contraint à la nativité refoulée du sans-abri ou de la personne déplacée. «  Alors, à travers tout l’Ancien Testament, on cherche comme pour les embrasser, ceux qui avaient entendu ce gémissement de Dieu et qui s’étaient ouverts à cette tendresse exilée «  ( André Frossard)

Le Carême est donc un temps privilégié de conversion amoureuse , d’ouverture à cette tendresse exilée de Dieu, en vue de rendre amour pour amour à notre bien-aimé Sauveur Jésus. La question de fond est bien alors : «  De quel Dieu parlons-nous ? » Si la morale n’est pas une mystique, si, elle n’est pas une promotion pour notre humanité, on comprend la levée de bouclier contre l’encyclique « Humanae vitae »   du Pape Paul VI en 1975. Il, nous faut retrouver le vrai Dieu , le Dieu intérieur, le Dieu liberté, le Dieu qui est le seul chemin vers nous-mêmes et qui nous promeut à une grandeur infinie qui est la sienne. C’est sans doute ce qui manque le plus aux catholiques qui s’agitent, contestent ou s’en vont en claquant la porte au nom d’une liberté qui relève des Droits de l’homme.. Comme si ,les Droits de Dieu n’allaient pas de pair avec la vraie liberté humaine.

Les comportements que l’Eglise préconise sont , en réalité, un immense appel à la liberté, car ils veulent nous greffer sur la liberté infinie qui se révèle et nous est communiquée dans le Christ. Non, il ne s’agit pas de physique – contraception ou autre – mais de métaphysique et d’anthropologie. il s’agit de savoir ce qu’est au juste l’homme ..et si nous avons à nous construire ou pas. Pour tout dire, la morale n’est pas une limitation de ma liberté . Elle est la seule promotion possible pour la grandeur humaine.

Ecoutons Saint-Paul. «  Nous tous qui avons été baptisés dans le Christ, nous avons revêtu le Christ. » (Galates 3,27) Le projet de Dieu sur chacune de nos vies, c’est donc bien la transfiguration progressive de tout notre être et de tout notre chemin de vie…et donc de chacune de nos journées. Nous disons croire à la Providence. Or, sans cesse, nous freinons des quatre fers face à tout imprévu, retard ou échec. Pourtant, chaque matin, nous recevons de Dieu notre journée entière où il n’y a rien de trop ni de trop peu , rien d’indifférent et rien d’inutile. Il y a là un réflexe à acquérir. l s’agit de ne pas regarder nos journées comme de simples feuilles d’agenda marquées d’une date et de rendez-vous divers. Une foi vivante s’agenouille devant chaque journée qui commence Car chaque minute de cette journée permet au Christ Jésus de vivre en nous parmi les hommes et d’y déployer les incroyables énergies de la foi qui culbute les montagnes, de l’espérance qui nie l’impossible et de la charité qui fait flamber la terre.

Jésus l’a dit et redit : « Si vous ne devenez pas semblable aux petits enfants, vous n’entrerez pas dans le Royaume des Cieux. » L’esprit d’enfance est vraiment inhérent au Christianisme. Et il y a peu de probabilité que l’on trouve Dieu si l’on n’a pas gardé ou recouvré cette faculté d’admirer en toute confiance , qui fait briller le regard de l’enfant et que trop souvent l’habitude et l’âge finissent par émousser. Un converti, séduit par Dieu à l’âge adulte et ravi d’avoir acquis l’esprit d’enfance, avouait un jour qu’il ne viendrait jamais à l’esprit de revendiquer une «  foi adulte » ou une «  foi barbue ». Oui, aujourd’hui plus que jamais, il est urgent de retrouver un véritable d’esprit d’enfance.

Soyons lucides. Le christianisme n’est ni une idée, ni un système, ni simplement une morale, mais une PERSONNE : JESUS-CHRIST. Or, on n’offre pas des fleurs à une idée . On ne dit pas sa tendresse à une morale. On n’orne pas les murs de sa chambre avec des systèmes. Pour tout dire : Dieu ne veut pas qu’on le prie mais qu’on lui parle, ce qui n’est pas toujours le cas surtout quand on se contente de «  réciter » ses prières. Un amour se déclare, il se donne, tel qu’il est, même s’il charbonne trop souvent. Il ne se récite pas.

Finalement, c’est quoi le Carême ? C’est un AMOUR refroidi qui se réchauffe.

Autres conférences

 

Article publié par MICHEL LAISNE • Publié le Lundi 15 mars 2010 • 1886 visites

keyboard_arrow_up