Vendredi Saint (office du soir)

Homélie du Père Bernard Descarpentries

 

(Homélie Père Bernard Descarpentries_20140418.mp3)

 

 

Frères et sœurs, nous voici réunis pour vivre ensemble l'office de la Passion et de la Croix du Christ. Office tout à fait original puisqu’il ne comporte pas l’eucharistie, même si nous recevons la communion. En effet, la Cène du Seigneur que nous avons célébré hier soir, anticipe le sacrifice du Christ sur la Croix : « chaque fois que vous mangez ce pain et que vous buvez à cette coupe, vous proclamez la mort du Seigneur jusqu’à ce qu’Il vienne » (1 Cor 11,26).

 

Il me semble que le terme d'office est à prendre dans son sens fort d’un travail. Il ne s'agit pas seulement de l'accomplissement au cours de cette célébration un certain nombre d’actions liturgiques ; mais d’abord du fait que toutes ces actions travaillent en nous. L’enjeu d’une pareille célébration est la « communion fraternelle » non pas pour nous sentir bien, mais parce que nous annonçons en en faisant l’expérience, la promesse accomplie dans l'offrande du CHRIST. Les chrétiens se rassemblent autour du Crucifié livré, pour tout apprendre de Lui et se mettre à l’école de de la charité, don total de soi par amour des autres (l'agapé).

 

Donc le Vendredi saint, Jésus nous donne la VIE dans sa mort par amour. Il avait tout donné : sa vie auprès de Marie dans la pauvreté et l'obéissance. Trois années de prédication où il a révélé la Vérité, rendu témoignage au Père, promis l'Esprit Saint et fait toutes sortes de miracles d'amour. Maintenant, Il donne encore, trois heures sur la croix d'où il pardonne à ses bourreaux, ouvre au larron les portes du Paradis, nous donne sa Mère et finalement son Corps et son Sang dans l'Eucharistie. Il lui restait son union avec le Père, son sentiment de la présence de Dieu ; mais il devait aller jusqu'à consentir que cela disparaîsse de son âme. Il devait encore se sentir en quelque sorte désuni de Celui avec qui il affirmait être un. En lui l'amour devait être confronté au néant. Il s'est donc fait “rien”, pour nous faire participer au Tout. Nous étions séparés du Père, il nous a rejoint pour faire de nous des fils de Dieu. Il est apparu nécessaire que le Fils (en qui nous sommes tous récapitulés) éprouvât la séparation du Père que nous vivons. Il devait expérimenter l'abandon de Dieu pour que nous ne soyons jamais plus abandonnés. Il nous enseigne ainsi que personne n'a de plus grand amour que celui qui donne sa vie pour ses amis.

 

Lui, la Vie, donnait tout de lui-même. C'était le sommet, la plus belle expression de l'amour. Son visage est caché derrière les multiples souffrances de nos vies qui ne sont rien d'autre que Lui. Oui, parce que Jésus abandonné est l'image du muet : il ne sait plus parler. Il est l'image de l'aveugle : il ne voit pas ; du sourd: il n'entend pas. C'est l'homme épuisé qui gémit. Il est au bord du désespoir. Il est l'affamé d'union avec Dieu. C'est l'image du désenchanté, du trahi, on dirait un raté. Il représente le peureux, le timide, le désorienté. Jésus abandonné est ténèbres, mélancolie, contradiction. Il est l'image de tout ce qui est étrange, incompréhensible, de ce qui est à la limite du monstrueux, car c'est un Dieu qui crie: "Au secours !". Il est le solitaire, le délaissé... Il apparaît inutile, exclu, traumatisé...

 

C'est pourquoi, nous pouvons le reconnaître en chaque frère souffrant. En approchant ceux qui lui ressemblent, nous pouvons leur parler de Jésus abandonné. Pour ceux qui se voient semblables à lui et acceptent de partager son sort, il devient : pour le muet, la parole ; pour l'ignorant, la réponse ; pour l'aveugle, la lumière ; pour le sourd, la voix ; pour l'épuisé, le repos ; pour le désespéré, l'espérance ; pour celui qui est séparé des siens, l'unité ; pour l'anxieux, la paix. Grâce à lui, le non-sens de la souffrance acquiert un sens. Il lance le cri de ces états auxquels nul ne peut apporter de réponses ; afin d'habiter par sa présence nos terribles silences face à ces questions existancielles. Un problème de la vie humaine, c'est la souffrance. Quelle qu'en soit sa forme, aussi terrible soit-elle, nous savons que Jésus l'a prise sur lui et la transforme en souffrance dans l'amour. Je peux dire par expérience que dès que nous accueillons une souffrance comme lui, nous continuons à être dans et par la volonté de Dieu.

 

Notre amour, au contact de la souffrance, la transforme. Ainsi se poursuit en nous l'oeuvre de salut que Jésus a faite dans la souffrance. Je peux témoigner qu'après chaque rencontre avec Jésus abandonné aimé ou accepté, je trouve Dieu de façon nouvelle, dans un rapport plus intime, et comme j'aimerais l'accueillir en étant plus ouvert, dans une unité plus pleine. La présence qui émane de ceux qui étreignent la souffrance, nous frappe et même nous désarme. Quand la fraternité resplendit, on assiste à des miracles de résurrection ; un nouveau printemps naît dans l'humanité. La liturgie est vraiment essentielle pour nous plonger ensemble dans l’œuvre que Dieu réalise une fois pour toutes par Jésus Christ. La liturgie sans cesse actualise, rend présente cette oeuvre de Dieu au fil des générations chrétiennes et partout dans le monde. Vivons donc la « communion des saints ». Vivons-la chaleureusement, fraternellement, mais aussi comme une responsabilité, un engagement de l’Eglise dont chacun est membre pour sa part.

 

Comment est-il possible d’accueillir l’œuvre de ce Dieu qui se montre si silencieux et si passif, inactif sur la croix ? Comment est-il possible de célébrer ce Dieu amour après ces massacres et ces guerres incessantes dans lesquelles des chrétiens sont impliqués comme si l’Evangile n’avait précisément pas fait son travail en eux et en profondeur ? Le « mystère de l’iniquité » (2 Thess 2,7) semble à l‘œuvre d’âge en âge et cela nous interroge forcément. Face à cela, la juste attitude n’est-elle pas d’abord d’observer le silence, par respect bien sûr pour les victimes. Mais il s’agit de bien davantage que d’une "minute de silence". En notre célébration de ce soir, rappelle le silence et l’abaissement du Christ épousant totalement notre terre ainsi que notre propre condition. Nous sommes des "glaibeux" et c’est peut-être notre passion pour cette terre qui nous rend « capables de Dieu » par Jésus Christ.

 

C’est en allant à Lui en vérité, en nous dépouillant de nos idées préconçues sur Dieu et sur l’homme ; c’est en nous rendant à Lui, en portant notre regard sur Lui pour rencontrer le Sien que nous sommes libérés. Beaucoup d’entre nous en ont déjà fait l’expérience en des moments clef de leur vie. Nous comprenons pourquoi la prière nous engage et pourquoi aussi elle nous désigne l’horizon ultime de l’histoire humaine qui sera récapitulée en Dieu. Voilà pourquoi notre prière de ce soir est fondamentale car les chrétiens sont toujours engagés quand ils oeuvrent au bien de leurs frères et quand ils prient en assemblée ou seuls face à Dieu pour leurs frères. La prière universelle du Vendredi Saint nous rappelle cela.

 

Dans la vénération de la Croix, il ne s'agit pas d'adorer un instrument de supplice ! Toucher la croix n’a rien de répugnant, bien au contraire. Toucher la croix ne saurait être un geste anodin. Toucher la croix nous engage une fois encore à servir comme le Christ. Toucher la Croix nous engage à regarder le Christ dans tous ses états chaque jour chez les vieillards ou les grands malades comme chez les petits. Toucher la croix, nous oblige à ne pas détourner notre regard et notre main secourable du frère affligé, pauvre, étranger, persécuté. Alors, oui, touchons la Croix pour nous laisser toucher dans un effort d'humanité sans fard et connaître notre condition de fils de Dieu.

 

Le 18 avril 2014,

Père Bernard Descarpentries
 

Article publié par MICHEL LAISNE • Publié le Mardi 22 avril 2014 • 1339 visites

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