Partir pour aller à la rencontre de l'Autre

Juin 2015

 

Vous tous qui me lisez de près ou de loin,
Vous que j’ai la chance de côtoyer ou de connaître depuis longtemps ou depuis peu,
Vous avec qui j’ai une relation familiale, amicale, fraternelle, sociale, professionnelle, associative ou encore spirituelle,
Vous que je connais sûrement encore trop peu,
 
Cette lettre vous est destinée...
Partir en volontariat pour vouloir aider, c’est avant tout aller à la rencontre de l’Autre.
Un Autre à la fois semblable et si différent de nous. Un Autre aux mille facettes.
Il y a des rencontres qui nous changent, d’autres qui nous marquent et dont je voulais vous faire part.
..

 

Pauvreté et Misère : “ jusqu’où pouvais-je vous imaginer ? ”

 

Je n’étais jamais allée en Afrique, difficile donc de s’imaginer le quotidien des gens quand nous ne le partageons pas ! Difficile de réaliser que nous pouvons exercer le même métier dans chaque coin de la terre et pour autant vivre dans des conditions si différentes ! Etre infirmière mais vivre sans eau courante et électricité, avoir un toit mais un toit si fragile au moindre orage ou coup de vent, ne pas manger toujours à sa faim...

 

Ici, la pauvreté et la misère sont très présentes... Vivre cette année au Cameroun  m’a permis de prendre conscience de ces réalités totalement différentes de ce qu’était constitué mon environnement jusqu’à présent. Certes, j’avais entendu parler de la “vie africaine” mais ce n’est pas pareil que de la vivre, la côtoyer, de s’y plonger, de rentrer en immersion totale dans une certaine pauvreté en à peine quelques heures de vol. Cela m’a bousculée, m’a déstabilisée, a remis en cause certaines images, visions, repères que j’avais...

 

Avec le recul, j’ai trouvé aussi de multiples richesses dans ces pauvretés et je sais maintenant qu’une culture sans argent est une culture qui n’est pas pauvre mais dont nous avons tout à apprendre...

 

Mes collègues infirmiers camerounais : “ vous m’avez fait grandir ! ”

 

Ce fut loin d’être facile d’oublier un temps toutes mes représentations et conceptions du soin pour mieux les comprendre et les aider. S’abandonner en quelque sorte à une autre façon du “prendre soin” parfois si loin de mes valeurs éthiques ou morales...

 

J’ai dû apprendre à me remettre sans cesse en question, à m'interroger, à être à leur écoute, à les voir et les découvrir de l’intérieur sans préjugé et jugement. Surmonter mes faiblesses, faire tomber toutes ces barrières, issues de mon éducation, de ma culture, de ma manière de vivre/de travailler pour réussir à rencontrer et découvrir ce qu’il y a de vrai et de beau en l’autre.

 

J’ai dû gagner en humilité et patience. Certes, j’avais des compétences et un désir profond de les transmettre mais j’ai été invitée à ne pas imposer mes modes de pensées, mes pratiques et plutôt à engager ensemble un travail commun où j’ai appris d’eux autant que j’ai proposé. Même s’ils attendaient beaucoup de moi et de mes compétences, ce fut parfois long et fastidieux de réaliser de petits projets et d’avancer ensemble dans la même direction car nous n’avons pas la même manière de soigner et nous ne voyons pas les priorités de la même façon. Mais finalement, je pense que plus nous prenons le temps et plus ce que nous donnons trouve un sens et répond à un besoin profond.

 

Ils m’ont aussi fait comprendre qu’il fallait parfois traverser de multiples difficultés, essuyer certaines incompréhensions, donner le meilleur de moi même pour arriver à travailler et coopérer ensemble.

 

Bien sûr, je reste humaine, et j’ai encore des défauts, des fragilités, des faiblesses... Ils font partie de mes pauvretés et je pense qu’en chacun, nous pouvons tirer de ces pauvretés, des richesses !

 

Vous m’aurez donc fait grandir humainement et cela restera pour moi un enrichissement personnel et professionnel profond et unique. Alors, Merci !

 

Ceux que je soigne au quotidien : “ face au désemparement, je garderai en image votre courage ”

 

Que d’enfants soignés en une année: rougeole, drépanocytose, tuberculose, accès palustre grave, fièvre typhoïde, épilepsie, convulsion fébrile, méningite bactérienne, malnutrition (marasme, kwashiorkor), anémie sévère, septicémie, morsure de serpent, inhalation d’hydrocarbure, traumatisme crânien...

 

Que de femmes enceintes suivies et éduquées, que de nouveau-nés accueillis: souffrance fœtale aiguë, accouchements heureux ou malheureux, césarienne, hématome rétro-placentaire, hémorragie de la délivrance, circulaire serrée du cordon, déchirure du col...

 

Infection néonatale précoce, ictère néonatal, détresse respiratoire... La liste de pathologies ou de situations pourrait être aussi longue et diversifiée que les enfants ou nouveau-nés que j’ai l’habitude de soigner en France dans mes services de réanimation.

 

En soignant ces petits africains, j’ai dû faire face à des situations bien difficiles et si différentes jusqu’à toucher mes propres limites et me pousser à les accepter...

 

Alors qu’en France, dans de tels services de réanimation, nous nous questionnons parfois sur nos pratiques de soin qui pourraient avoir tendance à devenir de l’acharnement thérapeutique, que nous sommes amenés en équipe à prendre souvent la décision de proposer une limitation thérapeutique des soins; ici, en Afrique, nous sommes contraints de faire face bien trop souvent à la mort tout simplement par cause de manque de soins et de moyens... En tant que soignant, il est difficile, je trouve, d’accepter la mort comme une fatalité, sans avoir pu donner le meilleur de nous même, sans avoir pu tout essayer, tout exploiter, sans avoir pu prodiguer un simple soin qui aurait pu sauver... J’ai eu l’impression plusieurs fois de les abandonner...

 

Mes chers collègues de France, comme à chaque fois que nous administrons un soin, il y a des regards qui marquent, des mains qui recherchent de l’affection, des visages qui expriment la douleur, d’autres le désarroi, la peur...

 

Ici, je garderai en image leur courage. C’est une belle leçon de vie qui m’a été donnée (même si je l’avais déjà tirée auparavant face à des épreuves de la Vie vécues trop jeune), celle d’apprendre à relativiser, à se réjouir de petites choses, à voir du bon en toute situation, à garder de la joie, de la confiance, à rester positive: voilà ce qu’ils m’ont transmis !

 

Les familles des malades : “ je retiendrai leur simplicité de vie ”

 

Face à la mort, ils sont très fatalistes et s’en remettent à Dieu, Dieu donne et reprend. Ici, la mort fait partie de la vie. Ici, il faut profiter du présent car il n’est pas possible de prévoir de quoi sera fait demain.

 

Vivre auprès d’eux m’a permis de retrouver une simplicité de vie, de quitter mon confort et de rompre avec une société de consommation dans laquelle je baignais en occident et qui était parfois proche de l’écœurement.

 

Malgré leur misère, j’y ai toujours trouvé le sourire et l’accueil: deux qualités contagieuses et qui nous rendent heureux.

 

Une vie plus simple mais peut être plus vraie et authentique...

 

Volontaires des pays du Sud : “ vos expériences me nourrissent ! ”

 

Nous étions 137 volontaires à partir à la fin de l’été à destination des pays du Sud. Le stage de préparation au départ m’avait marquée par la profondeur de nos échanges, les instants de joie partagés, les moments de fraternité vécus entre nous. Je me souviens aussi des questions, des doutes et des peurs qui nous habitaient face à l’inconnu, à notre nouveau pays d’accueil, aux cultures différentes auxquelles nous serions confrontées, à notre mission à relever et assurer !

 

Au delà de ces partages intenses, c’était très émouvant de nous voir aussi nombreux à nous engager pour 1 à 2 ans en faveur du développement et de la solidarité dans le monde.

 

Un petit clin d’œil à mon groupe d'Afrique Centrale (Tchad, République Démocratique du Congo, Ouganda et.... Cameroun), je me remémore notre envoi, la chaîne émue que nous formions sous un tonnerre d’applaudissements, chaîne qui s’entrelaçait, se soutenait sous les regards et les encouragements de l’assemblée.

 

Je pense souvent à eux dans leurs pays respectifs. J’aime recevoir les newsletter de quelques uns, leurs expériences me nourrissent... De voir que nous vivons bien souvent les mêmes joies, peines, réussites ou difficultés m’ont permis de me sentir vraiment comprise, d’aller de l’avant, de rebondir, de grandir.

 

Quelle fut mon bonheur quand l’occasion s’est présentée de pouvoir se retrouver, de vivre certaines aventures ensemble comme celle du Mont Cameroun qui fut grandiose, de faire la fête et de lâcher prise sur toutes les difficultés ou les choses que nous n’arrivons plus à contrôler, d’aller se détendre et se ressourcer sur le littoral le temps de quelques jours de vacances bien méritées... Mais aussi... de voir de visu certains du groupe sur Yaoundé, d’échanger nos vécus dans un petit bar, d’entamer des débats constructifs entre volontaires et avec notre chargé de mission sur le développement durable, ce qu’il va rester de notre passage, ce qui va perdurer ou non quand nous serons partis...

 

Bref, des échanges de visu ou par écrit d’une grande richesse, alors continuez! J’ai soif de tous ces partages si intenses !

 

L’Amitié au Cameroun :  simplicité ou complexité dans la rencontre ?

 

L’Afrique a un côté très chaleureux et accueillant. Terre très conviviale, très familiale, très solidaire. Ici, je suis un peu la “sœur” de tout le monde! Quand je me balade dans la rue, que je croise ou rencontre des africains, quand je rentre dans une chambre d’un malade entouré de sa famille pour y prodiguer des soins, très vite une certaine simplicité, hospitalité, générosité s’installe, une familiarité se crée, une chaleur se dégage.  

 

C’est tout l’opposé de la France, où nous courrons après le temps, où nous passons l’un à côté de l’autre sans parfois nous dire bonjour, où une interpellation dans le métro ou le train invite souvent à la méfiance ou à la surprise, où notre société nous pousse parfois davantage à nous croiser plutôt qu’à nous rencontrer vraiment...

 

Ici, il est agréable de prendre le temps de découvrir et d’accueillir l’autre.

 

Néanmoins, ma couleur de peau a tendance parfois à biaiser ces rencontres. Quand une relation se crée et se noue, je me demande toujours si c’est parce qu’il y a un intérêt sous jacent ou non. Ainsi, je me rends compte parfois que certaines relations sont faussées, malsaines, intéressées.

 

Outre ceci, les cultures sont tellement différentes, que parfois lors de discussions nous ne nous comprenons pas ou nous nous blessons mutuellement par des propos ou des dires vécus ou interprétés d’une manière différente d’une culture à l’autre.

 

Des relations donc passionnantes et difficiles à la fois...

 

Chloé : “ tu vas me manquer énormément, c'est évident... ”

 

Une fille souriante au regard pétillant, attentionnée, réfléchie, ambitieuse, captivante par son ouverture d’esprit et son regard sur le monde, poignante dans sa capacité à se remettre en question.

 

Elle aura été pour moi comme une sœur cette année dans mon cœur et à mes côtés.

 

Bienveillante face à mes soucis de santé, réconfortante dans les moments difficiles ou tristes, distrayante tout au long de l’année, motivante au travail et dans nos projets, à l’écoute et d’une totale confiance dans les moments profonds de confidence et de dévoilement, intéressante par sa culture générale et son vécu professionnel et personnel antérieur dans d’autres pays du monde...

 

Partager cette année ensemble aurait pu être vu comme un défi à relever devant nos caractères différents, les potentielles querelles/incompréhensions, les différences de convictions, les tiraillements humains, les difficultés... Mais au contraire, nous avons su tirer de nos différences un enrichissement mutuel, une complicité intense, une fraternité solide, une paix intérieure contagieuse, une solidarité réelle, une relation fusionnelle mais d’une grande liberté, simplicité, authenticité.

 

Une fois rentrée en France, elle me manquera, c’est sûr...

 

Et vous Tous si loin de moi : ” j’ai l’impression de vous redécouvrir... ”

 

Quand j’ai décidé de partir une année, j’ai dû faire face à la joie de découvrir mais la douleur de quitter. Faire face à des séparations, des renoncements pour vivre d’autres libertés et bonheurs.

 

Un dépouillement et une mise à nue nécessaire en quelque sorte pour mieux se connaitre mais aussi pour découvrir ou redécouvrir les autres...

 

C’est une très belle expérience d’abandonner, de quitter ceux qui nous sont si chers et que nous aimons, ceux avec qui nous avons noué des liens simples ou plus intenses au travail ou avec notre métier, ceux que nous connaissons trop peu ou ceux que nous pensons connaître trop bien !

 

Les milliers de kilomètres qui nous séparent ne nous auront pas permis de nous voir de visu, d’échanger de vive voix, de partager et de vivre des moments ensemble... Il est vrai que l’absence crée un manque et que quand le départ pour la grande aventure approche, la peur de changer, de s’éloigner, de se distancer, de ne plus se comprendre, de ne plus se retrouver est présente.

 

Cependant, même si je ne suis pas encore rentrée et que je m’avance peut être un peu trop vite dans ma réflexion, je tenais tout de même à vous dire que je me suis surprise moi même en me rendant compte que l’éloignement me permettait parfois de poser par écrit ce que je n’arrivais pas toujours à dire ou aborder avec vous oralement (soit par manque de temps, soit parce que nous ne trouvons pas toujours les mots pour le dire, soit parce que nous n’osons pas etc...), de frapper à la porte de personnes que je ne connaissais pas ou trop peu, de rentrer plus en profondeur dans certaines relations, de recevoir de belles surprises et marques d’attention, de resserrer des liens d’amour, d’amitié ou de simplicité existants, de découvrir beaucoup d’entre vous ou/et de vous connaître davantage, de trouver ou retrouver un certain équilibre....

 

En changeant de continent et en m’éloignant de vous, j’ai posé finalement un regard nouveau sur chacun de vous et pour beaucoup d’entre vous, je vois et trouve en vous maintenant des choses que je ne voyais pas ou ne trouvais pas avant! C’est comme un renouveau, une renaissance qui s’est créée! Finalement, il faut parfois arriver à se détacher, pour mieux vous redécouvrir et vous retrouver après !

 

Ainsi, vous aurez compris que chaque rencontre m’aura changée.

 

 

Même si la fin de ma mission commence à approcher à grands pas, je continue de profiter pleinement de ces rencontres fabuleuses et hors du commun.

 

 

Je vous souhaite à tous un très bon début d’été, sûrement sous quelques notes de musique dès demain...

J’espère aussi que vous passerez une belle fête des pères dans vos familles respectives comme a pu l'être la fête des mères.

Je tiens à féliciter tous mes collègues pour l’obtention du label IHAB et pour le travail accompli, j’ai hâte de voir tous les changements y compris la nouvelle unité de soins continus en réanimation pédiatrique.

Je souhaite à mes amis volontaires une bonne poursuite ou fin de mission selon l’engagement pris par chacun dans son pays d’accueil.

Au plaisir de “mieux vous retrouver” prochainement,

 

Claire.

 

Article publié par MICHEL LAISNE • Publié le Jeudi 25 juin 2015 • 1968 visites

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