De Jean-Paul II, « tous, nous avons reçu grâce après grâce », pourrions-nous dire aujourd’hui avec saint Jean (1-16). Les témoignages que vous nous avez envoyés le confirment ; nous en publions une série de cinq. Ici, celui du chanteur compositeur Roger Martineau échappant à la « tentation intégriste »…
« Je me considère pleinement comme faisant partie de la génération Jean-Paul II. Je n’ai connu que lui, dans la mesure où je me suis converti peu de temps après son élection.
Grâce à la formation qui a suivi ma conversion, je lui dois la liberté et l’audace de faire « ce qu’on veut », comme dit St Augustin, une fois que l’on a tout remis de son être et de sa vie dans les mains de l’Église.
Dès son premier voyage au Bourget en 1980, il avait une façon de parler de l’homme qui m’a étonné. Je me souviens de sa réflexion : « Vous recherchez la liberté, l’égalité, la fraternité, des vertus chrétiennes en somme… ». Dans les milieux « tradis », ce genre de réflexion alors laissait dans l’expectative, et on commençait à mal le juger…
En ce qui me concerne, ce fut ma première leçon auprès de lui.
Grâce à son « N’ayez pas peur »
Ma deuxième leçon fut de m’avoir protégé, (je devrais même dire « sorti », tant mon cœur était bien engagé) d’une « tentation intégriste » qui, dans ma fougue de jeune converti, se présentait à moi en ces temps où l’Église de France était prête à se déchirer. C’est son style, son « N’ayez pas peur », son aisance à affronter le monde, à rechercher la rencontre des jeunes, sa volonté de tout embrasser, de tout éclairer, et, au cœur de tout ça, son incessante prière qui m’ont ébloui.
J’avais lu une biographie de lui, écrite par un de ses amis d’enfance, intitulée Mon ami Karol Wojtyla, et par ce livre j’ai compris Vatican II en profondeur, c’est-à-dire comment l’Église, dans un acte d’humilité extrême, s’interrogeait pour la première fois sur elle-même en tant que « servante inutile », ou en d’autres termes, sans d’autre pouvoir auprès de l’homme et de la société que sa raison d’être qui est le Christ. Je me souviens que ce livre relatait l’impatience du jeune prélat Wojtyla à devoir proposer désormais un autre rapport au monde.
Un épisode qui m'a beaucoup marqué
Je l’ai découvert, pendant le Concile, des plus critiques envers les premiers travaux très dogmatiques élaborés autour du Cardinal Ottaviani, puis contribuant grandement à l’écriture de Gaudium et Spes sur la liberté religieuse. Or, là aussi, dans les milieux où j’évoluais c’était un (sinon le) sujet qui fâchait. Mais ce témoignage m’a fait comprendre la vraie signification de son « N’ayez pas peur ». Ça voulait dire : oui, l’Église va sans doute connaître la crise la plus profonde, mais soyez sûr que « rien ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu ». En somme, il remettait l’échelle des priorités dans son ordre originel.
Je me souviens aussi que ce livre retraçait un épisode qui m’a beaucoup marqué. À la mort de Paul VI, Mgr Wojtyla était réuni avec des amis très proches. Au moment, de la prière universelle, quelqu’un a lancé : « Prions pour que Karol Wojtyla soit élu pape ». Il a ri d’emblée, mais très vite son visage s’est figé, et après un temps de silence où il a senti que cette éventualité n’était pas impossible, il a dit gravement : « Prions surtout pour que le prochain pape soit un homme très pieux ». (Ce fut Jean-Paul Ier qui fut élu, mais ce n’était que partie remise).
Cet épisode m’a ébranlé, car il éclairait soudain son style audacieux, imprévisible et infatigable qui pouvait faire croire que les actes comptaient plus que la prière. Or, j’apprenais qu’au contraire, c’est lorsqu’on s’enracine dans l’intimité avec Dieu qu’on peut tout se permettre. Voilà ce qu’en profondeur Jean-Paul II m’a appris. Après cela, toute sa vie, tous ses gestes je les ai vus et lus à la lumière de ces révélations.
Je compris qu'il était entré dans le temps de la souffrance
La « Ballade à Jean-Paul II » que j’ai écrite en ces temps-là (1984), derrière sa forme légère, relate les tensions de l’Église d’alors, les orientations qu’il nous donnait et cette affection sans bornes que je lui portais.
En 1989, nous avons emboîté son pas vers Saint-Jacques-de-Compostelle, pour ce qui fut sans doute les premières grandes JMJ, dont le succès a toujours étonné la face du monde. Deux ans plus tard, ce fut à Czestochowa, dans son pays que nous le suivions.
Nous l’avons rencontré dans ses appartements privés, en avril 1994, pour l’année de la Famille, grâce au prix de la Famille que nous venions de recevoir. Ce dont je me souviendrai toujours, ce sont, pendant sa messe privée de 7 heures du matin, les innombrables gémissements qu’il a poussés et qui me mettait mal à l’aise. Mais quand il nous a reçus dans sa bibliothèque juste après, il était redevenu l’homme affable et rieur que tout le monde connaissait. J’ai compris plus tard qu’il était entré dans un nouveau temps, celui de la souffrance, et avec lui, toute l’Église.
En effet, sa souffrance devait être à la fois morale et physique, car c’était lors des grands colloques sur la famille émanant de l’ONU (Le Caire, Pékin) qui se révéleront surtout des grandes menaces sur la famille et la vie donc sur l’homme. En outre, il venait de perdre un ami très cher : le professeur Lejeune. Nous apprenions quelques jours plus tard qu’il s’était cassé le col du fémur. À partir de ce moment, il nous est toujours apparu souffrant.
Cette souffrance, d’ailleurs, je l’accompagnais dans mon cœur, car il nous en rappelait sans cesse le sens. Elle fut le principal témoignage de la deuxième partie de son pontificat à partir justement de 1994 jusqu’à sa mort. C’était pour le monde qu’il l’offrait, pour le troupeau dont il avait la charge, pour la défense de la Vie, pour les jeunes, les malades, les personnes âgées… Là encore, je me souviens d’avoir lu dans une revue de presse cette réflexion terrible qu’il lançait à ceux qui en voulaient à la vie et à la famille : « Que puis-je vous opposer aujourd’hui ? Je ne peux plus rien vous opposer, sinon la souffrance du pape… » Des paroles comme ça ne peuvent que réchauffer nécessairement le cœur des chrétiens découragés, et surtout éclairer le sens de tout ce qu’il a dit et fait…
« Oui, Saint-Père, vous nous avez cherchés, inlassablement »
Je me souviens encore avec émotion de son voyage en France, en septembre 1996. Il est venu chez nous, en Vendée, sur la tombe du Père de Montfort, à Sainte-Anne-d’Auray pour les familles, à Reims pour célébrer le Baptême de la France. Entre-temps, il venait à Tours pour l’année de saint Martin, et c’est nous qui étions chargés de l’accueillir par notre chanson : « Voici, Saint-Père, les familles de France ». Et j’avais l’impression qu’il venait en France pour moi, tellement tous ces rendez-vous coïncidaient avec ma vie et notre répertoire. Le plus impressionnant, c’est que ce voyage épuisant pour cet homme déjà épuisé, lui redonnait vigueur et joie au fur et à mesure qu’il rencontrait les chrétiens de France.
Enfin, il y eut ce temps de grâce où chacun a pu l’accompagner dans son agonie jusqu’à la fin. Temps de grâce et de profonde communion. En avril 2005, l’Église a vécu autour de lui une telle ferveur que, personnellement, je l’ai vécu comme un avant-goût du Royaume des Cieux sur la Terre. Ses dernières paroles furent : « Je vous ai cherchés. C’est vous qui êtes venus. Je vous remercie… »
Oui, Saint-Père, vous nous avez cherchés, inlassablement, vous n’avez pas compté votre peine, que vous fussiez en forme ou diminué, vous n’aviez qu’un seul souci, nous ramener au Christ. C’est nous qui vous remercions, ô doux Pasteur.
La présence de nos enfants à votre sépulture fut, pour mon épouse et moi, le signe que dans l’éternité vous continueriez de nous conduire. »
« Je me considère pleinement comme faisant partie de la génération Jean-Paul II. Je n’ai connu que lui, dans la mesure où je me suis converti peu de temps après son élection.
Grâce à la formation qui a suivi ma conversion, je lui dois la liberté et l’audace de faire « ce qu’on veut », comme dit St Augustin, une fois que l’on a tout remis de son être et de sa vie dans les mains de l’Église.
Dès son premier voyage au Bourget en 1980, il avait une façon de parler de l’homme qui m’a étonné. Je me souviens de sa réflexion : « Vous recherchez la liberté, l’égalité, la fraternité, des vertus chrétiennes en somme… ». Dans les milieux « tradis », ce genre de réflexion alors laissait dans l’expectative, et on commençait à mal le juger…
En ce qui me concerne, ce fut ma première leçon auprès de lui.
Grâce à son « N’ayez pas peur »
Ma deuxième leçon fut de m’avoir protégé, (je devrais même dire « sorti », tant mon cœur était bien engagé) d’une « tentation intégriste » qui, dans ma fougue de jeune converti, se présentait à moi en ces temps où l’Église de France était prête à se déchirer. C’est son style, son « N’ayez pas peur », son aisance à affronter le monde, à rechercher la rencontre des jeunes, sa volonté de tout embrasser, de tout éclairer, et, au cœur de tout ça, son incessante prière qui m’ont ébloui.
J’avais lu une biographie de lui, écrite par un de ses amis d’enfance, intitulée Mon ami Karol Wojtyla, et par ce livre j’ai compris Vatican II en profondeur, c’est-à-dire comment l’Église, dans un acte d’humilité extrême, s’interrogeait pour la première fois sur elle-même en tant que « servante inutile », ou en d’autres termes, sans d’autre pouvoir auprès de l’homme et de la société que sa raison d’être qui est le Christ. Je me souviens que ce livre relatait l’impatience du jeune prélat Wojtyla à devoir proposer désormais un autre rapport au monde.
Un épisode qui m'a beaucoup marqué
Je l’ai découvert, pendant le Concile, des plus critiques envers les premiers travaux très dogmatiques élaborés autour du Cardinal Ottaviani, puis contribuant grandement à l’écriture de Gaudium et Spes sur la liberté religieuse. Or, là aussi, dans les milieux où j’évoluais c’était un (sinon le) sujet qui fâchait. Mais ce témoignage m’a fait comprendre la vraie signification de son « N’ayez pas peur ». Ça voulait dire : oui, l’Église va sans doute connaître la crise la plus profonde, mais soyez sûr que « rien ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu ». En somme, il remettait l’échelle des priorités dans son ordre originel.
Je me souviens aussi que ce livre retraçait un épisode qui m’a beaucoup marqué. À la mort de Paul VI, Mgr Wojtyla était réuni avec des amis très proches. Au moment, de la prière universelle, quelqu’un a lancé : « Prions pour que Karol Wojtyla soit élu pape ». Il a ri d’emblée, mais très vite son visage s’est figé, et après un temps de silence où il a senti que cette éventualité n’était pas impossible, il a dit gravement : « Prions surtout pour que le prochain pape soit un homme très pieux ». (Ce fut Jean-Paul Ier qui fut élu, mais ce n’était que partie remise).
Cet épisode m’a ébranlé, car il éclairait soudain son style audacieux, imprévisible et infatigable qui pouvait faire croire que les actes comptaient plus que la prière. Or, j’apprenais qu’au contraire, c’est lorsqu’on s’enracine dans l’intimité avec Dieu qu’on peut tout se permettre. Voilà ce qu’en profondeur Jean-Paul II m’a appris. Après cela, toute sa vie, tous ses gestes je les ai vus et lus à la lumière de ces révélations.
Je compris qu'il était entré dans le temps de la souffrance
La « Ballade à Jean-Paul II » que j’ai écrite en ces temps-là (1984), derrière sa forme légère, relate les tensions de l’Église d’alors, les orientations qu’il nous donnait et cette affection sans bornes que je lui portais.
En 1989, nous avons emboîté son pas vers Saint-Jacques-de-Compostelle, pour ce qui fut sans doute les premières grandes JMJ, dont le succès a toujours étonné la face du monde. Deux ans plus tard, ce fut à Czestochowa, dans son pays que nous le suivions.
Nous l’avons rencontré dans ses appartements privés, en avril 1994, pour l’année de la Famille, grâce au prix de la Famille que nous venions de recevoir. Ce dont je me souviendrai toujours, ce sont, pendant sa messe privée de 7 heures du matin, les innombrables gémissements qu’il a poussés et qui me mettait mal à l’aise. Mais quand il nous a reçus dans sa bibliothèque juste après, il était redevenu l’homme affable et rieur que tout le monde connaissait. J’ai compris plus tard qu’il était entré dans un nouveau temps, celui de la souffrance, et avec lui, toute l’Église.
En effet, sa souffrance devait être à la fois morale et physique, car c’était lors des grands colloques sur la famille émanant de l’ONU (Le Caire, Pékin) qui se révéleront surtout des grandes menaces sur la famille et la vie donc sur l’homme. En outre, il venait de perdre un ami très cher : le professeur Lejeune. Nous apprenions quelques jours plus tard qu’il s’était cassé le col du fémur. À partir de ce moment, il nous est toujours apparu souffrant.
Cette souffrance, d’ailleurs, je l’accompagnais dans mon cœur, car il nous en rappelait sans cesse le sens. Elle fut le principal témoignage de la deuxième partie de son pontificat à partir justement de 1994 jusqu’à sa mort. C’était pour le monde qu’il l’offrait, pour le troupeau dont il avait la charge, pour la défense de la Vie, pour les jeunes, les malades, les personnes âgées… Là encore, je me souviens d’avoir lu dans une revue de presse cette réflexion terrible qu’il lançait à ceux qui en voulaient à la vie et à la famille : « Que puis-je vous opposer aujourd’hui ? Je ne peux plus rien vous opposer, sinon la souffrance du pape… » Des paroles comme ça ne peuvent que réchauffer nécessairement le cœur des chrétiens découragés, et surtout éclairer le sens de tout ce qu’il a dit et fait…
« Oui, Saint-Père, vous nous avez cherchés, inlassablement »
Je me souviens encore avec émotion de son voyage en France, en septembre 1996. Il est venu chez nous, en Vendée, sur la tombe du Père de Montfort, à Sainte-Anne-d’Auray pour les familles, à Reims pour célébrer le Baptême de la France. Entre-temps, il venait à Tours pour l’année de saint Martin, et c’est nous qui étions chargés de l’accueillir par notre chanson : « Voici, Saint-Père, les familles de France ». Et j’avais l’impression qu’il venait en France pour moi, tellement tous ces rendez-vous coïncidaient avec ma vie et notre répertoire. Le plus impressionnant, c’est que ce voyage épuisant pour cet homme déjà épuisé, lui redonnait vigueur et joie au fur et à mesure qu’il rencontrait les chrétiens de France.
Enfin, il y eut ce temps de grâce où chacun a pu l’accompagner dans son agonie jusqu’à la fin. Temps de grâce et de profonde communion. En avril 2005, l’Église a vécu autour de lui une telle ferveur que, personnellement, je l’ai vécu comme un avant-goût du Royaume des Cieux sur la Terre. Ses dernières paroles furent : « Je vous ai cherchés. C’est vous qui êtes venus. Je vous remercie… »
Oui, Saint-Père, vous nous avez cherchés, inlassablement, vous n’avez pas compté votre peine, que vous fussiez en forme ou diminué, vous n’aviez qu’un seul souci, nous ramener au Christ. C’est nous qui vous remercions, ô doux Pasteur.
La présence de nos enfants à votre sépulture fut, pour mon épouse et moi, le signe que dans l’éternité vous continueriez de nous conduire. »
Roger Martineau, chanteur compositeur