Bernard Lecomte, journaliste et écrivain, est l’auteur des plusieurs ouvrages sur Jean-Paul II. Invité par la paroisse St-Maurand St-Amé, il donnera une conférence le lundi 4 avril à 20 heures 15 aux salles d’Anchin à DOUAI. Nous l’avons interrogé.
1/ Quels souvenirs personnels conservez-vous de l'élection d'un pape polonais le 16 octobre 1978 ?
- Ce jour-là, la providence a voulu que je sois en reportage à Varsovie pour le journal La Croix. Dès que la nouvelle est tombée, je me suis précipité dans la rue pour… annoncer aux Polonais que le nouveau pape était Karol Wojtyla, l’archevêque de Cracovie ! Certains fondaient en larmes, d’autres me prenaient pour un fou, ce fut un reportage original !
2/ Les dirigeants des démocraties populaires, que vous connaissiez bien, ont-ils eu à cet instant le sentiment que ce pape était dangereux pour leurs régimes ?
- Les dirigeants communistes polonais ont pris le parti de se réjouir bruyamment de cet « honneur » fait à la Pologne, jouant sur la fibre nationaliste, mais ils savaient que rien, pour eux, ne serait plus comme avant. Dans les autres pays de l’Est, ce fut le silence radio : on ne savait même pas qui était cet archevêque ! Seuls quelques membres du politburo, à Moscou, ont senti le danger : je pense à Mikhaïl Souslov ou à Boris Ponomarev, mais ils étaient très isolés. C’est plus tard, lors du premier voyage papal en Pologne, en juin 1979, que l’inquiétude a commencé à saisir l’ensemble des dirigeants de l’Est.
3/ Vous avez souvent écrit, notamment dans vos livres (*), que l'action de Jean Paul II avait contribué à la chute du Mur de Berlin. N'est-ce pas prêter trop d'influence à la papauté ?
- Ce n’est pas la papauté, mais le pape Jean-Paul II, polonais, slave et bon connaisseur du marxisme, qui a contribué, à sa façon, à l’effondrement du communisme. En réveillant les consciences, en encourageant la défense des droits de l’homme, en redonnant confiance aux populations, en utilisant au mieux la « perestroïka » gorbatchévienne, Jean-Paul II a incontestablement joué dans cette histoire un rôle majeur, qu’ont reconnu aussi bien un Soljenitsyne qu’un Mikhaïl Gorbatchev. Jean-Paul II n’est pas un surhomme, ce n’est pas li qui a renversé le communisme, mais sans lui, cette histoire-là aurait été bien différente.
4/ Sait-on ce qui s'est réellement passé durant le conclave d’octobre 1978 ? Qu'est-ce qui, au final, a fait voter les cardinaux en faveur de Karol Wojtyla ?
- Les premiers votes du conclave n’ont pu départager les cardinaux italiens Siri et Benelli, alors les voix se sont portées sur d’autres noms. Pour beaucoup de cardinaux, le risque était surtout de prendre un « non italien » et de bousculer ainsi une tradition de cinq siècles. Seuls quelques-uns d’entre eux, comme l’Autrichien Franz Koenig ou l’Américain John Krol, qui ont poussé sa candidature, savaient que l’élection d’un pape venu de l’Est aurait forcément des répercussions sur la situation politique est-ouest. Seul un tel pape pouvait déclarer que le communisme n’était qu’une parenthèse de l’Histoire ! Ajoutez que la mort brutale de Jean-Paul Ier, trente-trois jours après son élection, a incité les cardinaux électeurs à choisir un pape jeune et en bonne santé !
5/ Dans votre biographie de Jean Paul II, vous montrez qu’un pape est aussi un homme, avec ses passions. Quels étaient ses centres d’intérêt ?
- Jean-Paul II n’était pas un passionné de musique, il s’intéressait peu à la peinture. En revanche, il lisait beaucoup, y compris les grands auteurs français (Maritain, Bernanos, Sartre, Camus, etc). Mais il avait surtout deux passions, le théâtre et la poésie. S’il n’était pas devenu prêtre, c’est clair, il serait devenu un grand comédien dans son pays. Et il a lui-même composé et publié des poèmes très forts.
6/ Vous soulignez l’importance que le Pape accorde aux jeunes.
- Il y a toujours eu une complicité entre Karol Wojtyla et les jeunes. Jeune abbé, ils les entrainent dans les montagnes pour des temps de convivialité et de catéchèse. Pour beaucoup, il est un ami sûr, un grand frère, un directeur spirituel. Devenu pape, il gardera cette même complicité avec les jeunes. Il lance les fameuses Journées Mondiales de la Jeunesse. Qui, aujourd’hui, peut ignorer la ferveur spirituelle et fraternelle que soulèvent les JMJ ?
7/ D'un pape on voit très rarement les défauts. Mais, après tout, mêmes les saints ont les leurs. Y en avait-il dans la personnalité de Jean Paul II ?
- Franchement, c’est difficile à dire. Ce n’est pas faute d’avoir cherché, pour mon livre, les failles ou les lacunes de sa personnalité. On peut noter, par exemple, qu’il délaissait complètement la gestion ou l’administration de l’Eglise, mais est-ce vraiment un défaut ? On a dit récemment qu’il n’avait pas été attentif aux affaires pédophiles, ce qui est faux.
8/ Comment avez-vous appris sa disparition ? Sa mort et ses obsèques vous ont-ils ému ?
- J’ai commenté ses derniers jours sur RTL et sur France 2. Oui, bien sûr que j’ai été ému. D’abord parce que j’ai consacré beaucoup d’années de ma propre vie à ce pape. Ensuite, comme tout le monde, parce qu’il est resté en place pendant un quart de siècle, qu’il a profondément marqué son temps, et que les dernières années de sa vie furent très émouvantes.
9/ Dans un de vos livres, vous appelez Jean-Paul II : "le dernier des géants". Est-ce une formule ou est-ce la réalité historique ?
- Disons : le « dernier des géants » de la fin du XXè siècle, au même titre que Churchill ou de Gaulle. Voyez-vous, actuellement, des personnages de son niveau, à part, peut-être, Nelson Mandela ? Cela dit, félicitons-nous que Jean-Paul II soit béatifié, mais méfions-nous de l’hagiographie : nous ne connaissons évidemment pas les « géants » de demain ! Une chose est sure : Jean-Paul II fût un homme exceptionnel et un pape hors du commun.
(*) Bernard Lecomte a notamment écrit :
- Jean-Paul II (Gallimard, 2006).
- Le pape qui fit chuter Lénine (CLD, 2007).
- Les Secrets du Vatican (Perrin, 2009).
- 100 photos pour comprendre Jean-Paul II (L’Editeur, 2010).
1/ Quels souvenirs personnels conservez-vous de l'élection d'un pape polonais le 16 octobre 1978 ?
- Ce jour-là, la providence a voulu que je sois en reportage à Varsovie pour le journal La Croix. Dès que la nouvelle est tombée, je me suis précipité dans la rue pour… annoncer aux Polonais que le nouveau pape était Karol Wojtyla, l’archevêque de Cracovie ! Certains fondaient en larmes, d’autres me prenaient pour un fou, ce fut un reportage original !
2/ Les dirigeants des démocraties populaires, que vous connaissiez bien, ont-ils eu à cet instant le sentiment que ce pape était dangereux pour leurs régimes ?
- Les dirigeants communistes polonais ont pris le parti de se réjouir bruyamment de cet « honneur » fait à la Pologne, jouant sur la fibre nationaliste, mais ils savaient que rien, pour eux, ne serait plus comme avant. Dans les autres pays de l’Est, ce fut le silence radio : on ne savait même pas qui était cet archevêque ! Seuls quelques membres du politburo, à Moscou, ont senti le danger : je pense à Mikhaïl Souslov ou à Boris Ponomarev, mais ils étaient très isolés. C’est plus tard, lors du premier voyage papal en Pologne, en juin 1979, que l’inquiétude a commencé à saisir l’ensemble des dirigeants de l’Est.
3/ Vous avez souvent écrit, notamment dans vos livres (*), que l'action de Jean Paul II avait contribué à la chute du Mur de Berlin. N'est-ce pas prêter trop d'influence à la papauté ?
- Ce n’est pas la papauté, mais le pape Jean-Paul II, polonais, slave et bon connaisseur du marxisme, qui a contribué, à sa façon, à l’effondrement du communisme. En réveillant les consciences, en encourageant la défense des droits de l’homme, en redonnant confiance aux populations, en utilisant au mieux la « perestroïka » gorbatchévienne, Jean-Paul II a incontestablement joué dans cette histoire un rôle majeur, qu’ont reconnu aussi bien un Soljenitsyne qu’un Mikhaïl Gorbatchev. Jean-Paul II n’est pas un surhomme, ce n’est pas li qui a renversé le communisme, mais sans lui, cette histoire-là aurait été bien différente.
4/ Sait-on ce qui s'est réellement passé durant le conclave d’octobre 1978 ? Qu'est-ce qui, au final, a fait voter les cardinaux en faveur de Karol Wojtyla ?
- Les premiers votes du conclave n’ont pu départager les cardinaux italiens Siri et Benelli, alors les voix se sont portées sur d’autres noms. Pour beaucoup de cardinaux, le risque était surtout de prendre un « non italien » et de bousculer ainsi une tradition de cinq siècles. Seuls quelques-uns d’entre eux, comme l’Autrichien Franz Koenig ou l’Américain John Krol, qui ont poussé sa candidature, savaient que l’élection d’un pape venu de l’Est aurait forcément des répercussions sur la situation politique est-ouest. Seul un tel pape pouvait déclarer que le communisme n’était qu’une parenthèse de l’Histoire ! Ajoutez que la mort brutale de Jean-Paul Ier, trente-trois jours après son élection, a incité les cardinaux électeurs à choisir un pape jeune et en bonne santé !
5/ Dans votre biographie de Jean Paul II, vous montrez qu’un pape est aussi un homme, avec ses passions. Quels étaient ses centres d’intérêt ?
- Jean-Paul II n’était pas un passionné de musique, il s’intéressait peu à la peinture. En revanche, il lisait beaucoup, y compris les grands auteurs français (Maritain, Bernanos, Sartre, Camus, etc). Mais il avait surtout deux passions, le théâtre et la poésie. S’il n’était pas devenu prêtre, c’est clair, il serait devenu un grand comédien dans son pays. Et il a lui-même composé et publié des poèmes très forts.
6/ Vous soulignez l’importance que le Pape accorde aux jeunes.
- Il y a toujours eu une complicité entre Karol Wojtyla et les jeunes. Jeune abbé, ils les entrainent dans les montagnes pour des temps de convivialité et de catéchèse. Pour beaucoup, il est un ami sûr, un grand frère, un directeur spirituel. Devenu pape, il gardera cette même complicité avec les jeunes. Il lance les fameuses Journées Mondiales de la Jeunesse. Qui, aujourd’hui, peut ignorer la ferveur spirituelle et fraternelle que soulèvent les JMJ ?
7/ D'un pape on voit très rarement les défauts. Mais, après tout, mêmes les saints ont les leurs. Y en avait-il dans la personnalité de Jean Paul II ?
- Franchement, c’est difficile à dire. Ce n’est pas faute d’avoir cherché, pour mon livre, les failles ou les lacunes de sa personnalité. On peut noter, par exemple, qu’il délaissait complètement la gestion ou l’administration de l’Eglise, mais est-ce vraiment un défaut ? On a dit récemment qu’il n’avait pas été attentif aux affaires pédophiles, ce qui est faux.
8/ Comment avez-vous appris sa disparition ? Sa mort et ses obsèques vous ont-ils ému ?
- J’ai commenté ses derniers jours sur RTL et sur France 2. Oui, bien sûr que j’ai été ému. D’abord parce que j’ai consacré beaucoup d’années de ma propre vie à ce pape. Ensuite, comme tout le monde, parce qu’il est resté en place pendant un quart de siècle, qu’il a profondément marqué son temps, et que les dernières années de sa vie furent très émouvantes.
9/ Dans un de vos livres, vous appelez Jean-Paul II : "le dernier des géants". Est-ce une formule ou est-ce la réalité historique ?
- Disons : le « dernier des géants » de la fin du XXè siècle, au même titre que Churchill ou de Gaulle. Voyez-vous, actuellement, des personnages de son niveau, à part, peut-être, Nelson Mandela ? Cela dit, félicitons-nous que Jean-Paul II soit béatifié, mais méfions-nous de l’hagiographie : nous ne connaissons évidemment pas les « géants » de demain ! Une chose est sure : Jean-Paul II fût un homme exceptionnel et un pape hors du commun.
(*) Bernard Lecomte a notamment écrit :
- Jean-Paul II (Gallimard, 2006).
- Le pape qui fit chuter Lénine (CLD, 2007).
- Les Secrets du Vatican (Perrin, 2009).
- 100 photos pour comprendre Jean-Paul II (L’Editeur, 2010).